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12/08/2014

Le troisième assassinat de Jaurès

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jauresfils1.jpgLouis Jaurès, fils de Jean Jaurès est né le 27 août 1898. L’adolescent s’engage par anticipation, fin 1915, parce que « quand on a l’honneur d’être le fils de Jaurès, on doit donner l’exemple. L’internationalisme philosophique n’est point incompatible avec la défense de la patrie quand la vie de celle-ci est en jeu. »

C’est presque mot pout mot cette pensée du père : « Un peu d’internationalisme éloigne de la patrie ; beaucoup d’internationalisme y ramène ».

Le 3 juin 1918, aspirant au 10e bataillon de chasseurs à pied, il est gravement blessé à Chaudun, dans l’Aisne et il meurt quelques heures plus tard à Pernant.

En 4 ans, la guerre aura enlevé à Louise Jaurès, son mari et son fils.

Poursuivant en bloc les Jaurès jusque dans la tombe, le maire de la commune de Pernant refuse que le corps du jeune homme soit inhumé là où il est mort et qu’une stèle à sa mémoire soit érigée après-guerre. Car ce patriote mort au combat portait le nom de Jaurès. Jaurès, un socialiste authentique, un partageux, un ami des gueux.

Il faudra attendre le 15 novembre 1936 pour que le président du conseil, le socialiste Léon Blum puisse inaugurer une stèle à sa mémoire à Chaudun (Aisne), pas à Pernant.

100 ans après la mort de son père et le début de la première guerre mondiale, une poignée de militants sont venus lui rendre hommage. L'hommage rendu par un président socialiste en 1936, n'a pas été renouvelé par un autre président socialiste aujourd'hui en exercice qui n'a pas eu cette délicatesse, dommage et symbolique !

29/07/2014

Jean Jaurès au Pré Saint-Gervais

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Discours du Pré-Saint-Gervais en 1913
 
Dans notre France moderne, qu’est-ce donc que la République ? C’est un grand acte de confiance.
 
Instituer la République, c’est proclamer que des millions d’hommes sauront tracer eux-mêmes la règle commune de leur action ; qu’ils sauront concilier la liberté et la loi, le mouvement et l’ordre ; qu’ils sauront se combattre sans se déchirer ; que leurs divisions n’iront pas jusqu’à une fureur chronique de guerre civile, et qu’ils ne chercheront jamais dans une dictature même passagère une trêve funeste et un lâche repos.
 
Instituer la République, c’est proclamer que les citoyens des grandes nations modernes, obligés de suffire par un travail constant aux nécessités de la vie privée et domestique, auront cependant assez de temps et de liberté d’esprit pour s’occuper de la chose commune. Et si cette République surgit dans un monde monarchique encore, c’est assurer qu’elle s’adaptera aux conditions compliquées de la vie internationale sans rien entreprendre sur l’évolution plus lente des peuples, mais sans rien abandonner de sa fierté juste et sans atténuer l’éclat de son principe.
 
Oui, la République est un grand acte de confiance et un grand acte d’audace. L’intervention en était si audacieuse, si paradoxale, que même les hommes hardis qui il y a cent dix ans, ont révolutionné le monde, en écartèrent d’abord l’idée. Les Constituants de 1789 et de 1791, même les Législateurs de 1972 croyaient que la monarchie traditionnelle était l’enveloppe nécessaire de la société nouvelle.
 
Ils ne renoncèrent à cet abri que sous les coups répétés de la trahison royale. Et quand enfin ils eurent déraciné la royauté, la République leur apparut moins comme un système prédestiné que comme le seul moyen de combler le vide laissé par la monarchie.
 
Bientôt cependant, et après quelques heures d’étonnement et presque d’inquiétude, ils l’adoptèrent de toute leur pensée et de tout leur cœur. Ils résumèrent, ils confondirent en elle toute la Révolution. Et ils ne cherchèrent point à se donner le change. Ils ne cherchèrent point à se rassurer par l’exemple des républiques antiques ou des républiques helvétiques et italiennes. Ils virent bien qu’ils créaient une œuvre nouvelle, audacieuse et sans précédent.
 
Ce n’était point l’oligarchique liberté des républiques de la Grèce, morcelées, minuscules et appuyées sur le travail servile. Ce n’était point le privilège superbe de la république romaine, haute citadelle d’où une aristocratie conquérante dominait le monde, communiquant avec lui par une hiérarchie de droits incomplets et décroissants qui descendait jusqu’au néant du droit, par un escalier aux marches toujours plus dégradées et plus sombres, qui se perdait enfin dans l’abjection de l’esclavage, limite obscure de la vie touchant à la nuit souterraine.
 
Ce n’était pas le patriciat marchand de Venise et de Gênes. Non, c’était la République d’un grand peuple où il n’y avait que des citoyens et où tous les citoyens étaient égaux. C’était la République de la démocratie et du suffrage universel. C’était une nouveauté magnifique et émouvante.
 
Les hommes de la Révolution en avaient conscience. Et lorsque dans la fête du 10 août 1793, ils célébrèrent cette Constitution, qui pour la première fois depuis l’origine de l’histoire organisait dans la souveraineté nationale la souveraineté de tous, lorsque artisans et ouvriers, forgerons, menuisiers, travailleurs des champs défilèrent dans le cortège, mêlés aux magistrats du peuple et ayant pour enseignes leurs outils, le président de la Convention put dire que c’était un jour qui ne ressemblait à aucun autre jour, le plus beau jour depuis que le soleil était suspendu dans l’immensité de l’espace ! Toutes les volontés se haussaient, pour être à la mesure de cette nouveauté héroïque. C’est pour elle que ces hommes combattirent et moururent.
 
C’est en son nom qu’ils refoulèrent les rois de l’Europe. C’est en son nom qu’ils se décimèrent. Et ils concentrèrent en elle une vie si ardente et si terrible, ils produisirent par elle tant d’actes et tant de pensées qu’on put croire que cette République toute neuve, sans modèles comme sans traditions, avait acquis en quelques années la force et la substance des siècles.
 
Et pourtant que de vicissitudes et d’épreuves avant que cette République que les hommes de la Révolution avaient crue impérissable soit fondée enfin sur notre sol ! Non seulement après quelques années d’orage elle est vaincue, mais il semble qu’elle s’efface à jamais de l’histoire et de la mémoire même des hommes. Elle est bafouée, outragée ; plus que cela, elle est oubliée.
 
Pendant un demi-siècle, sauf quelques cœurs profonds qui garderaient le souvenir et l’espérance, les hommes la renient ou même l’ignorent. Les tenants de l’Ancien régime ne parlent d’elle que pour en faire honte à la Révolution : “ Voilà où a conduit le délire révolutionnaire ! ” Et parmi ceux qui font profession de défendre le monde moderne, de continuer la tradition de la Révolution, la plupart désavouent la République et la démocratie. On dirait qu’ils ne se souviennent même plus. Guizot s’écrie : “ Le suffrage universel n’aura jamais son jour ”. Comme s’il n’avait pas eu déjà ses grands jours d’histoire, comme si la Convention n’était pas sortie de lui.
 
Thiers, quand il raconte la Révolution du10 août, néglige de dire qu’elle proclama le suffrage universel, comme si c’était là un accident sans importance et une bizarrerie d’un jour. République, suffrage universel, démocratie, ce fut, à en croire les sages, le songe fiévreux des hommes de la Révolution. Leur œuvre est restée, mais leur fièvre est éteinte et le monde moderne qu’ils ont fondé, s’il est tenu de continuer leur œuvre, n’est pas tenu de continuer leur délire. Et la brusque résurrection de la République, reparaissant en 1848 pour s’évanouir en 1851, semblait en effet la brève rechute dans un cauchemar bientôt dissipé.
 
Et voici maintenant que cette République, qui dépassait de si haut l’expérience séculaire des hommes et le niveau commun de la pensée que, quand elle tomba, ses ruines mêmes périrent et son souvenir s’effrita, voici que cette République de démocratie, de suffrage universel et d’universelle dignité humaine, qui n’avait pas eu de modèle et qui semblait destinée à n’avoir pas de lendemain, est devenue la loi durable de la nation, la forme définitive de la vie française, le type vers lequel évoluent lentement toutes les démocraties du monde.
 
Or, et c’est là surtout ce que je signale à vos esprits, l’audace même de la tentative a contribué au succès. L’idée d’un grand peuple se gouvernant lui-même était si noble qu’aux heures de difficulté et de crise elle s’offrait à la conscience de la nation.
 
Une première fois en 1793 le peuple de France avait gravi cette cime, et il y avait goûté un si haut orgueil, que toujours sous l’apparent oubli et l’apparente indifférence, le besoin subsistait de retrouver cette émotion extraordinaire. Ce qui faisait la force invincible de la République, c’est qu’elle n’apparaissait pas seulement de période en période, dans le désastre ou le désarroi des autres régimes, comme l’expédient nécessaire et la solution forcée. Elle était une consolation et une fierté. Elle seule avait assez de noblesse morale pour donner à la nation la force d’oublier les mécomptes et de dominer les désastres. C’est pourquoi elle devait avoir le dernier mot.
 
Nombreux sont les glissements et nombreuses les chutes sur les escarpements qui mènent aux cimes ; mais les sommets ont une force attirante. La République a vaincu parce qu’elle est dans la direction des hauteurs, et que l’homme ne peut s’élever sans monter vers elle. La loi de la pesanteur n’agit pas souverainement sur les sociétés humaines, et ce n’est pas dans les lieux bas qu’elles trouvent leur équilibre. Ceux qui, depuis un siècle, ont mis très haut leur idéal ont été justifiés par l’histoire.
 
Et ceux-là aussi seront justifiés qui le placent plus haut encore. Car le prolétariat dans son ensemble commence à affirmer que ce n’est pas seulement dans les relations politiques des hommes, c’est aussi dans leurs relations économiques et sociales qu’il faut faire entrer la liberté vraie, l’égalité, la justice. Ce n’est pas seulement la cité, c’est l’atelier, c’est le travail, c’est la production, c’est la propriété qu’il veut organiser selon le type républicain. À un système qui divise et qui opprime, il entend substituer une vaste coopération sociale où tous les travailleurs de tout ordre, travailleurs de la main et travailleurs du cerveau, sous la direction de chefs librement élus par eux, administreront la production enfin organisée.
 
Messieurs, je n’oublie pas que j’ai seul la parole ici et que ce privilège m’impose beaucoup de réserve. Je n’en abuserai point pour dresser dans cette fête une idée autour de laquelle se livrent et se livreront encore d’âpres combats. Mais comment m’était-il possible de parler devant cette jeunesse qui est l’avenir, sans laisser échapper ma pensée d’avenir ? Je vous aurais offensés par trop de prudence ; car quel que soit votre sentiment sur le fond des choses, vous êtes tous des esprits trop libres pour me faire grief d’avoir affirmé ici cette haute espérance socialiste qui est la lumière de ma vie.
 
Je veux seulement dire deux choses, parce quelles touchent non au fond du problème, mais à la méthode de l’esprit et à la conduite de la pensée. D’abord, envers une idée audacieuse qui doit ébranler tant d’intérêts et tant d’habitudes et qui prétend renouveler le fond même de la vie, vous avez le droit d’être exigeants.
 
Vous avez le droit de lui demander de faire ses preuves, c’est-à-dire d’établir avec précision comment elle se rattache à toute l’évolution politique et sociale, et comment elle peut s’y insérer. Vous avez le droit de lui demander par quelle série de formes juridiques et économiques elle assurera le passage de l’ordre existant à l’ordre nouveau.
 
Vous avez le droit d’exiger d’elle que les premières applications qui en peuvent être faites ajoutent à la vitalité économique et morale de la nation. Et il faut qu’elle prouve, en se montrant capable de défendre ce qu’il y a déjà de noble et de bon dans le patrimoine humain, qu’elle ne vient pas le gaspiller, mais l’agrandir. Elle aurait bien peu de foi en elle-même si elle n’acceptait pas ces conditions.
 
En revanche, vous, vous lui devez de l’étudier d’un esprit libre, qui ne se laisse troubler par aucun intérêt de classe. Vous lui devez de ne pas lui opposer ces railleries frivoles, ces affolements aveugles ou prémédités et ce parti pris de négation ironique ou brutale que si souvent, depuis un siècle même, les sages opposèrent à la République, maintenant acceptée de tous, au moins en sa forme. Et si vous êtes tentés de dire encore qu’il ne faut pas s’attarder à examiner ou à discuter des songes, regardez en un de vos faubourgs ?
 
Que de railleries, que de prophéties sinistres sur l’œuvre qui est là ! Que de lugubres pronostics opposés aux ouvriers qui prétendaient se diriger eux-mêmes, essayer dans une grande industrie la forme de la propriété collective et la vertu de la libre discipline ! L’œuvre a duré pourtant ; elle a grandi : elle permet d’entrevoir ce que peut donner la coopération collectiviste. Humble bourgeon à coup sûr, mais qui atteste le travail de la sève, la lente montée des idées nouvelles, la puissance de transformation de la vie. Rien n’est plus menteur que le vieil adage pessimiste et réactionnaire de l’Ecclésiaste désabusé : “ Il n’y rien de nouveau sous le soleil ”. Le soleil lui-même a été jadis une nouveauté, et la terre fut une nouveauté, et l’homme fut une nouveauté. L’histoire humaine n’est qu’un effort incessant d’invention, et la perpétuelle évolution est une perpétuelle création.
 
C’est donc d’un esprit libre aussi que vous accueillerez cette autre grande nouveauté qui s’annonce par des symptômes multipliés : la paix durable entre les nations, la paix définitive. Il ne s’agit point de déshonorer la guerre dans le passé. Elle a été une partie de la grande action humaine, et l’homme l’a ennoblie par la pensée et le courage, par l’héroïsme exalté, par le magnanime mépris de la mort.
 
Elle a été sans doute et longtemps, dans le chaos de l’humanité désordonnée et saturée d’instincts brutaux, le seul moyen de résoudre les conflits ; elle a été aussi la dure force qui, en mettant aux prises les tribus, les peuples, les races, a mêlé les élément humains et préparé les groupements vastes. Mais un jour vient, et tout nous signifie qu’il est proche, où l’humanité est assez organisée, assez maîtresse d’elle-même pour pouvoir résoudre, par la raison, la négociation et le droit, les conflits de ses groupements et de ses forces. Et la guerre, détestable et grande tant qu’elle est nécessaire, est atroce et scélérate quand elle commence à paraître inutile.
 
Je ne vous propose pas un rêve idyllique et vain. Trop longtemps les idées de paix et d’unité humaines n’ont été qu’une haute clarté illusoire qui éclairait ironiquement les tueries continuées. Vous souvenez-vous de l’admirable tableau que vous a laissé Virgile de la chute de Troie ? C’est la nuit : la cité surprise est envahie par le fer et le feu, par le meurtre, l’incendie et le désespoir.
 
Le palais de Priam est forcé et les portes abattues laissent apparaître la longue suite des appartements et des galeries. De chambre en chambre, les torches et les glaives poursuivent les vaincus ; enfants, femmes, vieillards se réfugient en vain auprès de l’autel domestique que le laurier sacré ne protège pas contre la mort et contre l’outrage ; le sang coule à flots, et toutes les bouches crient de terreur, de douleur, d’insulte et de haine. Mais par dessus la demeure bouleversée et hurlante, les cours intérieures, les toits effondrés laissent apercevoir le grand ciel serein et paisible et toute la clameur humaine de violence et d’agonie monte vers les étoiles d’or : Ferit aurea sidera clamor2.
 
De même, depuis vingt siècles et de période en période, toutes les fois qu’une étoile d’unité et de paix s’est levée sur les hommes, la terre déchirée et sombre a répondu par des clameurs de guerre.
 
C’était d’abord l’astre impérieux de la Rome conquérante qui croyait avoir absorbé tous les conflits dans le rayonnement universel de sa force. L’empire s’effondre sous le choc des barbares, et un effroyable tumulte répond à la prétention superbe de la paix romaine. Puis ce fut l’étoile chrétienne qui enveloppa la terre d’une lueur de tendresse et d’une promesse de paix. Mais atténuée et douce aux horizons galiléens, elle se leva dominatrice et âpre sur l’Europe féodale.
 
La prétention de la papauté à apaiser le monde sous sa loi et au nom de l’unité catholique ne fit qu’ajouter aux troubles et aux conflits de l’humanité misérable. Les convulsions et les meurtres du Moyen Âge, les chocs sanglants des nations modernes, furent la dérisoire réplique à la grande promesse de paix chrétienne.
 
La Révolution à son tour lève un haut signal de paix universelle par l’universelle liberté. Et voilà que de la lutte même de la Révolution contre les forces du vieux monde, se développent des guerres formidables.
 
Quoi donc ? La paix nous fuira-t-elle toujours ? Et la clameur des hommes, toujours forcenés et toujours déçus, continuera-t-elle à monter vers les étoiles d’or, des capitales modernes incendiées par les obus, comme de l’antique palais de Priam incendié par les torches ?
 
Non ! Non ! Et malgré les conseils de prudence que nous donnent ces grandioses déceptions, j’ose dire, avec des millions d’hommes, que maintenant la grande paix humaine est possible, et si nous le voulons, elle est prochaine. Des forces neuves y travaillent : la démocratie, la science méthodique, l’universel prolétariat solidaire. La guerre devient plus difficile, parce qu’avec les gouvernements libres des démocraties modernes, elle devient à la fois le péril de tous par le service universel, le crime de tous par le suffrage universel.
 
La guerre devient plus difficile, parce qu’avec les gouvernements libres des démocraties modernes, elle devient à la fois le péril de tous par le service universel, le crime de tous par le suffrage universel. La guerre devient plus difficile parce que la science enveloppe tous les peuples dans un réseau multiplié, dans un tissu plus serré tous les jours de relations, d’échanges, de conventions ; et si le premier effet des découvertes qui abolissent les distances est parfois d’aggraver les froissements, elles créent à la longue une solidarité, une familiarité humaine qui font de la guerre un attentat monstrueux et une sorte de suicide collectif.
 
Enfin, le commun idéal qui exalte et unit les prolétaires de tous les pays les rend plus réfractaires tous les jours à l’ivresse guerrière, aux haines et aux rivalités de nations et de races.
 
Oui, comme l’histoire a donné le dernier mot à la République si souvent bafouée et piétinée, elle donnera le dernier mot à la paix, si souvent raillée par les hommes et les choses, si souvent piétinée par la fureur des événements et des passions. Je ne vous dis pas : c’est une certitude toute faite.
 
Il n’y a pas de certitude toute faite en histoire. Je sais combien sont nombreux encore aux jointures des nations les points malades d’où peut naître soudain une passagère inflammation générale. Mais je sais aussi qu’il y a vers la paix des tendances si fortes, si profondes, si essentielles, qu’il dépend de vous, par une volonté consciente, délibérée, infatigable, de systématiser ces tendances et de réaliser enfin le paradoxe de la grande paix humaine, comme vos pères ont réalisé le paradoxe de la grande liberté républicaine.
 
Œuvre difficile, mais non plus œuvre impossible. Apaisement des préjugés et des haines, alliances et fédérations toujours plus vastes, conventions internationales d’ordre économique et social, arbitrage international et désarmement simultané, union des hommes dans le travail et dans la lumière : ce sera, jeunes gens, le plus haut effort et la plus haute gloire de la génération qui se lève.
 
Non, je ne vous propose pas un rêve décevant ; je ne vous propose pas non plus un rêve affaiblissant. Que nul de vous ne croit que dans la période encore difficile et incertaine qui précédera l’accord définitif des nations, nous voulons remettre au hasard de nos espérances la moindre parcelle de la sécurité, de la dignité, de la fierté de la France. Contre toute menace et toute humiliation, il faudrait la défendre : elle est deux fois sacrée pour nous, parce qu’elle est la France, et parce qu’elle est humaine
 
Même l’accord des nations dans la paix définitive n’effacera pas les patries, qui garderont leur profonde originalité historique, leur fonction propre dans l’œuvre commune de l’humanité réconciliée. Et si nous ne voulons pas attendre, pour fermer le livre de la guerre, que la force ait redressé toutes les iniquités commises par la force, si nous ne concevons pas les réparations comme des revanches, nous savons bien que l’Europe, pénétrée enfin de la vertu de la démocratie et de l’esprit de paix, saura trouver les formules de conciliation qui libéreront tous les vaincus des servitudes et des douleurs qui s’attachent à la conquête.
 
Mais d’abord, mais avant tout, il faut rompre le cercle de fatalité, le cercle de fer, le cercle de haine où les revendications même justes provoquent des représailles qui se flattent de l’être, où la guerre tourne après la guerre en un mouvement sans issue et sans fin, où le droit et la violence, sous la même livrée sanglante, ne se discernent presque plus l’un de l’autre, et où l’humanité déchirée pleure de la victoire de la justice presque autant que de sa défaite.
 
Surtout, qu’on ne nous accuse point d’abaisser et d’énerver les courages. L’humanité est maudite, si pour faire preuve de courage elle est condamnée à tuer éternellement. Le courage, aujourd’hui, ce n’est pas de maintenir sur le monde la sombre nuée de la Guerre, nuée terrible, mais dormante, dont on peut toujours se flatter qu’elle éclatera sur d’autres. Le courage, ce n’est pas de laisser aux mains de la force la solution des conflits que la raison peut résoudre ; car le courage est l’exaltation de l’homme, et ceci en est l’abdication.
 
Le courage pour vous tous, courage de toutes les heures, c’est de supporter sans fléchir les épreuves de tout ordre, physiques et morales, que prodigue la vie. Le courage, c’est de ne pas livrer sa volonté au hasard des impressions et des forces ; c’est de garder dans les lassitudes inévitables l’habitude du travail et de l’action.
 
Le courage dans le désordre infini de la vie qui nous sollicite de toutes parts, c’est de choisir un métier et de le bien faire, quel qu’il soit ; c’est de ne pas se rebuter du détail minutieux ou monotone ; c’est de devenir, autant que l’on peut, un technicien accompli ; c’est d’accepter et de comprendre cette loi de la spécialisation du travail qui est la condition de l’action utile, et cependant de ménager à son regard, à son esprit, quelques échappées vers le vaste monde et des perspectives plus étendues.
 
Le courage, c’est d’être tout ensemble, et quel que soit le métier, un praticien et un philosophe.
 
Le courage, c’est de comprendre sa propre vie, de la préciser, de l’approfondir, de l’établir et de la coordonner cependant à la vie générale.
 
Le courage, c’est de surveiller exactement sa machine à filer ou à tisser, pour qu’aucun fil ne se casse, et de préparer cependant un ordre social plus vaste et plus fraternel où la machine sera la servante commune des travailleurs libérés.
 
Le courage, c’est d’accepter les conditions nouvelles que la vie fait à la science et à l’art, d’accueillir, d’explorer la complexité presque infinie des faits et des détails, et cependant d’éclairer cette réalité énorme et confuse par des idées générales, de l’organiser et de la soulever par la beauté sacrée des formes et des rythmes.
 
Le courage, c’est de dominer ses propres fautes, d’en souffrir mais de n’en pas être accablé et de continuer son chemin. Le courage, c’est d’aimer la vie et de regarder la mort d’un regard tranquille ; c’est d’aller à l’idéal et de comprendre le réel ; c’est d’agir et de se donner aux grandes causes sans savoir quelle récompense réserve à notre effort l’univers profond, ni s’il lui réserve une récompense. Le courage, c’est de chercher la vérité et de la dire ; c’est de ne pas subir la loi du mensonge triomphant qui passe, et de ne pas faire écho, de notre âme, de notre bouche et de nos mains aux applaudissements imbéciles et aux huées fanatiques.
 
Ah ! vraiment, comme notre conception de la vie est pauvre, comme notre science de vivre est courte, si nous croyons que, la guerre abolie, les occasions manqueront aux hommes d’exercer et d’éprouver leur courage, et qu’il faut prolonger les roulements de tambour qui dans les lycées du premier Empire faisaient sauter les cœurs ! Ils sonnaient alors un son héroïque ; dans notre vingtième siècle, ils sonneraient creux. Et vous, jeunes gens, vous voulez que votre vie soit vivante, sincère et pleine. C’est pourquoi je vous ai dit, comme à des hommes, quelques-unes des choses que je portais en moi.
 

12/10/2013

Le clémencisme, l'édictorial de Claude Cabanes

syrie, israël, Etats-Unis, mouvement de la paix, François Hollande, jean jaurès, bachar al assad, jean-yves le drian, chypre, raoul villain, georges clémenceau, journée internationale de la paix, C’est un mot nouveau et énigmatique : le « clémencisme ». Il désigne un mal lui-même nouveau à gauche : la mutation des héritiers de Jean Jaurès en disciples de Clemenceau. Autrement dit le renoncement à l’ardente bataille permanente pour la paix au profit de l’acceptation de la force et de la guerre. C’était l’objet de la confrontation de ces deux figures historiques au début du dernier siècle, avant l’assassinat du grand pacifiste : la boucherie de la Première Guerre mondiale pouvait alors commencer…

François Hollande est donc un de ces nouveaux convertis au « clémencisme » en uniforme. Il est vrai que son ministre de l’Intérieur, Manuel Valls, avait ouvert la voie : il écrivait dans un ouvrage récent « mon choix est fait, je choisis Clemenceau contre Jaurès », s’agissant cette fois de la problématique du progrès et de l’ordre… (1). Pour couvrir la glissade des fondations mêmes de la pensée historique de la gauche vers les sables mouvants de l’opportunisme armé, on susurre dans certains cercles « savants », que Jaurès, avant de tomber sous les balles de Raoul Villain, aurait fait mouvement vers la résignation à la guerre. C’est une canaillerie. « Les morts sont sans défense », écrivait Elsa Triolet…

Donc aujourd’hui, Jaurès. Pas seulement par fidélité. Mais par urgente nécessité. On a froid dans le dos à prendre connaissance des forces navales qui s’organisent en Méditerranée orientale : cinq destroyers américains armés de missiles Tomahawk qu’accompagne un nombre indéterminé de sous-marins ; des navires de débarquement russes flanqués de deux patrouilleurs et d’un croiseur lance-missiles ; une dizaine de bâtiments de guerre français ; quelques avions espions britanniques stationnés à Chypre, chargés de « guider » les flottes aériennes de combat considérables… Et ce n’est que la partie connue et visible du dispositif.

Chaque jour, aussi, filtrent des informations de plus en plus précises sur la nature même des opérations militaires programmées dans les états-majors occidentaux. Les scénarios se dévoilent petit à petit, depuis que l’option diplomatique a pris la main pour éradiquer toute possibilité d’usage d’armes chimiques en Syrie. Il ne s’agit pas de quelques innocentes frappes un peu bruyantes, de gros pétards en somme, mais d’atteindre le cœur de l’appareil militaire et politique de Bachar Al Assad. Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, ne tourne pas autour du pot : « Il s’agit de dégrader le système de commandement et de production des agents chimiques syriens. » Autrement dit de frapper le pouvoir… lui-même. Un spécialiste des États-Unis observe que cela peut conduire à la destruction totale de la Syrie. Et même à l’invasion généralisée pour, à la fois, chasser le dictateur de Damas et se débarrasser des extrémistes qui le combattent… Une longue enquête de l’ONU indique en effet que, sur les 600 fractions armées qui luttent contre l’équipe au pouvoir, 350 environ sont affiliées à la mouvance salafiste ou djihadiste.

On avait coutume de dire autrefois que quand l’Amérique se mouchait, le monde tremblait… Ce temps est révolu… Oh ! certes, on a bien compris, au-delà des pieuses intentions contre les atroces crimes de guerre, que s’était constitué un axe États-Unis-Arabie Saoudite-Israël face à l’axe Syrie-Iran-Russie pour redessiner toute la région. Mais pourtant, la Maison-Blanche hésite toujours. Et il semble que, pour la première fois depuis trente ans, les autorités iraniennes et américaines ont pris langue dans un esprit nouveau…

Oui, Jaurès…

(1) Lire la Victoire de Jaurès, par Charles Silvestre, Éditions Privat.

L'Humanité en version numérique

01/08/2013

Jean Jaurès, une pensée plus que jamais d’actualité

	l'humanité, paix, jean jaurès, les vidéos de l'humanité, année jean jaurès, raoul villain, Quatre-vingt-dix-neuf ans jour pour jour après l’assassinat du fondateur de l’Humanité, Patrick Le Hyaric a rendu hommage, sur les lieux du drame, à l’homme politique et de réflexion qu’il était : pacifiste et internationaliste. 

Après quatre-vingt-dix-neuf ans, que reste-t-il de sa pensée? «En vérité, ils ont tué Jaurès, mais Jaurès est plus vivant que jamais. Son œuvre est là et partout dans la société, on trouve ses traces, observe Patrick Le Hyaric. Et nous allons continuer à les faire vivre.»

Devant Le Café du Croissant, lieu où le fondateur de l’Humanité a été assassiné en 1914 par le militant d’extrême droite Raoul Villain, le ­directeur du quotidien a rendu hommage au pacifiste et internationaliste qu’était Jean Jaurès. Après un dépôt de roses rouges devant la plaque commémorative, Patrick Le Hyaric a rappelé que «jusqu’au bout, jusqu’à son dernier souffle, Jean Jaurès aura lutté pour la paix» et «aura dénoncé, expliqué, démontré l’inanité» de la Première Guerre mondiale.

Comme le disait cet agrégé de philosophie: «Il n’y a qu’un moyen d’abolir la guerre entre les peuples, c’est d’abolir la guerre économique.» Cette guerre économique existe toujours près d’un siècle après. Cette fois-ci, à travers le traité transatlantique qui devrait bientôt s’appeler «Dracula contre la démocratie et contre les peuples», selon le directeur actuel du journal.

Relire Jean Jaurès

Des corrélations de réflexion qui inspirent Philippe, présent au milieu des quelque deux cents personnes venues dans l’ancien quartier de la presse du 2e arrondissement de Paris, où siégeait l’Humanité à ses débuts. «Cela me donne envie de le relire», sourit le militant communiste. Ce rendez-vous? Un moment immanquable qui permet de «se remotiver». «Le meilleur hommage que l’on puisse lui faire, c’est de continuer le combat», poursuit-il. Et pour Mireille, ardéchoise, cela passe aussi par le soutien au journal créé par Jaurès: «Son rapport à l’actualité est bien là. On est attaché au journal aussi parce qu’il perpétue l’idée que l’on doit sortir de la pensée dominante.»

«Nous devons avoir à cœur de préserver l’héritage» du journaliste, affirme lui aussi ­Patrick Le Hyaric. Celui d’alerter «du danger que représentait le retrait de l’État républicain» et de conserver une «loi commune»: se préoccuper «du seul intérêt général, excluant tout privilège et toute discrimination», contrairement à ce qui s’observe trop souvent aujourd’hui où les politiques favorisent les intérêts de «l’oligarchie financière».

«Il est grand temps de revenir à la pensée de Jaurès», pour qui «la réponse passait nécessairement par l’éveil des consciences, l’organisation des travailleurs pour enclencher un processus majoritaire de changement». «Les réformes ne sont pas des adoucissants : elles sont, elles doivent être des préparations», écrivait le parlementaire. Et il y a, pour le directeur de notre quotidien, «un beau projet de réflexion pour ceux qui se réclament de gauche au moment où le mot réforme se résume à faire accepter des reculs sociaux au nom de la crise», rappelant que Jaurès s’était battu pour le droit à la retraite, ce qui a abouti à la loi de 1910.

Année Jaurès

Ce rassemblement a aussi été l’occasion de lancer « l’Année Jaurès », dont le prochain temps fort sera la Fête de l’Humanité. Occasion de «confronter sa pensée et ses actions à la lumière du monde d’aujourd’hui» par le biais de nombreuses initiatives, rencontres et publications jusqu’au 31 juillet 2014. Date à laquelle un rendez-vous est déjà pris: devant ce même Café du ­Croissant, cette fois ce sera le centenaire de l’assassinat de Jaurès.

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