03/10/2012
100 économistes contre le Traité budgétaire d'austérité
Le Monde a publié mardi une tribune de plus de 100 économistes prenant position contre le traité européen dit TSCG. Problème, elle a été amputée de deux passages et de certains signataires PCF pourtant mis en avant. En voici donc l’intégralité, accompagnée de tous les signataires, avec en gras les passages coupés par le quotidien du soir.
L’austérité aggrave la crise, non au Traité budgétaire européen !
Depuis 2008, l’Union européenne (UE) fait face à une crise économique sans précédent. Contrairement à ce que prétendent les économistes libéraux, cette crise n’est pas due à la dette publique. Ainsi, l’Espagne et l’Irlande subissent aujourd’hui les attaques des marchés financiers alors que ces pays ont toujours respecté les critères de Maastricht. La montée des déficits publics est une conséquence de la chute des recettes fiscales due en partie aux cadeaux fiscaux faits aux plus aisés, de l’aide publique apportée aux banques commerciales et du recours aux marchés financiers pour détenir cette dette à des taux d’intérêt élevés.
La crise s’explique également par l’absence totale de régulation du crédit et des flux de capitaux aux dépens de l’emploi, des services publics et des activités productives. Elle est entretenue par la banque centrale européenne (BCE) qui appuie sans conditions les banques privées, et exige à présent une « stricte conditionnalité » austéritaire des États lorsqu’il s’agit de jouer le rôle de « prêteur en dernier ressort ». Elle leur impose des politiques d’austérité et s’avère incapable de combattre la spéculation sur les dettes souveraines, cela d’autant que sa seule mission reconnue par les traités est celle de maintenir la stabilité des prix. En outre, cette crise est aggravée par le dumping fiscal intra-européen et l’interdiction qui est faite à la BCE de prêter directement aux États pour des dépenses d’avenir, au contraire des autres banques centrales dans le monde comme la Federal reserve américaine. Enfin, la crise est renforcée par l’extrême faiblesse du budget européen et son plafonnement au taux ridiculement bas de 1,24 % du PIB, avec son orientation qui rend impossible toute expansion coordonnée et ambitieuse de l’activité en Europe.
François Hollande, après s’être engagé pendant la campagne à renégocier le traité européen, n’y a en fait apporté aucun changement, et, comme vient d’ailleurs de le reconnaître Élisabeth Guigou, choisit aujourd’hui de poursuivre la politique d’austérité entamée par ses prédécesseurs. C’est une erreur tragique. L’ajout d’un pseudo-pacte de croissance, aux montants réels dérisoires, s’accompagne de l’acceptation de la « règle d’or » budgétaire défendue par A. Merkel et N. Sarkozy. Elle stipule que le déficit dit structurel (hors variations de cycles économiques) ne doit pas dépasser 0,5% du PIB, ce qui condamnera toute logique de dépenses publiques d’avenir et conduira à mettre en place un programme drastique de réduction du périmètre de l’ensemble des administrations publiques.
En limitant plus que jamais la capacité des pays à relancer leurs économies et en leur imposant l’équilibre des comptes publics, ce traité est porteur d’une logique récessive qui aggravera mécaniquement les déséquilibres actuels. Les pays qui souffrent de l’effondrement de leur demande intérieure seront amenés à réduire plus fortement encore leur demande publique. Alors que plusieurs États membres sont déjà en récession, cela menacera encore davantage l’activité et l’emploi, donc les recettes publiques, ce qui creusera in fine les déficits. Ainsi, l’OFCE prévoit déjà 300 000 chômeurs de plus en France fin 2013 du seul fait de l’austérité. À moyen et long terme, cela hypothèquera la transition sociale et écologique qui nécessite des investissements considérables.
Au nom d’une prétendue « solidarité européenne », le traité organise de fait la garantie par les États des grands patrimoines financiers privés. Il grave dans le marbre des mesures d’austérité automatiques, imposées aux représentants des peuples, en contraignant leurs décisions budgétaires, dictées par une instance non élue. Le Mécanisme européen de stabilité (MES), institution anti-démocratique par excellence, pourrait proposer des prêts à des taux un peu moins élevés (5% en moyenne). Mais ces prêts seraient conditionnés à l’application d’une austérité drastique imposée aux peuples ! La garantie publique des investisseurs privés ne fait qu’encourager la spéculation, alors qu’il faudrait lui briser les reins en sortant de leur mains la dette publique. L’ensemble de l’édifice repose ainsi sur des conditionnalités anti-sociales imposées à toute aide ou intervention, et le refus d’intervention directe de la BCE pour les dépenses nouvelles. Elle va se contenter d’un rachat restrictif des titres de dette sur le marché secondaire, comme l’a annoncé récemment Mario Draghi.
Des centaines d’économistes à travers le monde, rejoints en ce sens par certains prix Nobel d’économie comme Joseph Stiglitz et Paul Krugman, ont largement critiqué le non-sens économique de la politique actuellement à l’œuvre en Europe. Le constat est sans appel : l’austérité est à la fois injuste, inefficace et anti-démocratique.
Nous pouvons faire autrement. L’avenir de l’Europe mérite un débat démocratique sur les solutions de sortie de crise. Une expansion coordonnée de l’activité, de l’emploi et des services publics serait aujourd’hui possible en Europe, notamment par le financement direct sélectif et à bas taux par la BCE des organismes publics de crédit. Pour que l’UE mette en œuvre cette politique, il est urgent de réformer et de démocratiser ses institutions. Un Fonds européen de développement social et écologique, à gestion démocratique, pourrait accentuer cette dynamique. De plus, l’UE pourrait mettre en place un contrôle de la finance, notamment en interdisant les échanges d'obligations souveraines sur les marchés de gré à gré, en limitant strictement la titrisation et les produits dérivés et en taxant les mouvements de capitaux spéculatifs.
Les défis sociaux et écologiques d’aujourd’hui sont immenses. Il est urgent de changer de cap pour sortir de la crise par le haut. Il est possible de défaire le sombre bilan des politiques libérales d’une France qui comprend 5 millions de chômeurs et 10 millions de pauvres. Pour s’en donner les moyens, il faut briser l’étau des marchés financiers et non leur donner des gages. C’est pourquoi nous refusons la ratification du Traité européen sur la stabilité, la coordination et la gouvernance (TSCG).
Ce texte n’engage que ses signataires :
Louis Adam, commissaire aux comptes,
Matthieu Agostini, expert RSE,
Pierre Alary, maître de conférences, Université Lille 1,
Daniel Bachet, professeur, Université d’Évry,
Emmanuel Barret, expert, banque d’investissement,
Philippe Batifoulier, maître de conférences, Université Paris 10,
Michel Bellet, professeur, Université de Saint-Étienne,
Nicolas Beniès, économiste, université populaire de Caen,
Matthieu Béraud, maître de conférences, Université de Lorraine,
Eric Berr, maître de conférences, Université Bordeaux 4,
Jacques Berthelot, INP Toulouse,
Pierre Bezbakh, maître de conférences, Paris IX-Dauphine,
Pierre Bitoun, INRA,
Frédéric Boccara, maître de conférence associé, Université Paris XIII,
Paul Boccara, maître de conférence honoraire, université de Picardie,
François Bojzcuk, conseiller en développement socio économique des territoires,
Serge Bornet, agrégé SES,
Marc Bousseyrol, maître de conférences, IEP de Paris,
Mireille Bruyère, maître de conférences, Toulouse 2,
Claude Calame, directeur d’étude, EHESS, Paris
Christophe Carrincazeaux, maître de conférences, Université Bordeaux 4,
Pierre Causse, économiste,
David Cayla maître de conférences, Université d’Angers,
Christian Celdran, administrateur civil honoraire,
Gabriel Colletis, professeur, Université de Toulouse 1,
Christian Corneliau, économiste, EHESS,
Laurent Cordonnier, maître de conférences, Université Lille 1,
Jacques Cossart, économiste,
Yves Dimicoli, économiste, ancien membre du conseil ďanalyse économique,
Vanessa Di-Paola, maître de conférences, Université d’Aix-Marseille
Jean-Paul Domin, maître de conférences, Université de Reims,
Alain Dontaine, Université Stendhal-Grenoble,
Ali Douai, maître de conférences, Université Bordeaux 4,
Denis Durand, économiste, membre du Conseil économique, social et environnemental,
Jean-Marc Durand, économiste,
Guillaume Etievant, expert économique auprès des CE,
David Flacher, maître de conférences, Université Paris 13,
Mathieu Forgues, professeur agrégé de SES,
Anne Fretel, maître de conférences, Université Lille 1,
Bernard Friot, Université Paris-X, institut européen du salariat,
Maryse Gadreau, professeur émérite, Université de Bourgogne,
Jean Gadrey, professeur, Université Lille I,
Véronique Gallais, économiste,
Jacques Généreux, professeur, IEP de Paris,
Ariane Ghirardello, maître de conférences, Université Paris 13,
Patrick Gianfaldoni, maître de conférences, université d’Avignon et des Pays de Vaucluse,
Jean-Pierre Gilly, professeur, Université de Toulouse 1
Bernard Guerrien, SAMM, Centre d'économie de la Sorbonne,
Alain Guéry, Histoire économique, CNRS
Bernard Guibert, économiste-statisticien,
Hector Guillen-Romo, université Paris 8,
Ozur Gun, maître de conférence, université de Reims,
Jean-Marie Harribey, maître de conférences, Université Bordeaux 4,
Michel Husson, économiste,
Sabina Issehnane, maître de conférences, Université Rennes 2,
Florence Jany-Catrice, professeur, Université Lille 1
Esther Jeffers, maître de conférences, Paris 8
Paul Jorion, titulaire de la chaire « Stewardship of Finance » à la Vrije Universiteit Brussel,
Andrée Kartchevsky, professeur, université de Reims,
Pierre Khalfa, syndicaliste, membre du Conseil économique, social et environnemental,
Thierry Kirat, directeur de recherche au CNRS, Paris Dauphine
Robert Kissous, statisticien économiste,
Agnès Labrousse, maître de conférences, Université de Picardie,
Stéphanie Laguérodie, maître de conférences, Paris 1,
Dany Lang, maître de conférences, Université Paris 13,
Catherine Lebrun, économiste,
Cécile Lefevre, professeur, Université Paris Descartes,
Pierre Le Masne, maître de conférences, Université de Poitiers
Philippe Légé, maître de conférences, Université de Picardie,
Pierre Lévy, maître de conférences, Université Paris Dauphine,
Frédéric Lordon, directeur de recherche au CNRS,
Jérôme Maucourant, maître de conférences, Université Jean Monnet - IUT de Saint-Etienne
Jean Magniadas, membre honoraire du Conseil économique et social,
Marc Mangenot, économiste,
Jonathan Marie, maître de conférences, Université Paris XIII,
Christiane Marty, économiste,
Pierre Mascomère, actuaire,
Gustave Massiah, économiste,
Antoine Math, économiste,
Thierry Méot, statisticien-économiste,
Nicolas Meunier, économiste,
Sandrine Michel, maître de conférences, Université Montpellier 1
Catherine Mills, maître de conférences, Université Paris 1,
Matthieu Montalban, maître de conférences, Université Bordeaux 4,
Alain Morin, directeur de la revue Economie et Politique,
François Morin, professeur, Université Toulouse 1,
Nolwenn Neveu, professeur agrégé de SES,
Alain Obadia, membre du Conseil économique social et environnemental
André Orléan, directeur de recherches, CNRS-EHESS,
Fabienne Orsi, IRD,
Gilles Orzoni, économiste,
Bernard Paranque, économiste, euromed management,
Pascal Petit, économiste, université Paris 13,
Henry Philipson, économiste,
Dominique Plihon, professeur, Université Paris 13,
Jean-François Ponsot, maître de conférences, Université Grenoble 2,
Nicolas Prokovas, maître de conférences, Université Paris 13,
Christophe Ramaux, professeur, Université Paris 1
Gilles Rasselet, professeur, Université de Reims,
Frédéric Rauch, rédacteur en chef de la Revue Economie et Politique,
Gilles Raveaud, Institut d'Etudes Européennes, maître de conférence Paris 8 St-Denis,
Jacques Rigaudiat, ancien conseiller social des Premiers ministres Rocard et Jospin,
Bertrand Rothé, professeur agrégé d'économie gestion, Université de Cergy Pontoise,
Gilles Rotillon, professeur, université Paris X,
Jean-Marie Roux, économiste,
Catherine Samary, maître de conférences, Paris Dauphine,
Bertrand Seys, maître de conférences Télécom Bretagne,
Richard Sobel, maître de conférences Université Lille 1,
Bernard Sujobert, statisticien-économiste,
Dominique Taddéi, ancien président d’université, ancien Président de la Caisse des dépots et consignations,
Bernard Teper, économiste,
Bruno Tinel, maître de conférences, Université Paris I,
Stéphanie Treillet, maître de conférences des universités,
Sébastien Villemot, économiste,
Philippe Zarifian, professeur, Université Paris Est-Marne la vallée,
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25/09/2012
TRAITE BUDGETAIRE : Jérôme Guedj,« Un remède qui tue le malade »
JEROME GUEDJ EST DEPUTE SOCIALISTE DE L'ESSONNE, ET PRESIDENT DU CONSEIL GENERAL DE CE DEPARTEMENT
Quelle appréciation portez-vous sur le pacte budgétaire européen ?
Jérôme Guedj. On nous explique que toutes les difficultés européennes viennent des dettes souveraines des États, de leur endettement et de leur déficit excessif. En gros, ce serait la faute aux États et aux seuls États. Ce serait la faute aux politiques publiques, aux investissements qu’ils font, aux services publics qu’ils mettent en œuvre. Ce traité fait l’impasse sur tout un tas de sujets : la question d’une politique monétaire au service de la croissance, donc des missions de la Banque centrale européenne, le rôle des marchés financiers, la spéculation financière… Dans le traité, il n’y a pas tout ça. François Hollande a obtenu, dans les conclusions du sommet européen, la supervision bancaire, la taxe sur les transactions financières ou les fonds européens au service de la croissance. C’est très bien, mais ce n’est pas dans le traité.
Le contenu de ce volet sur la croissance n’est-il pas justement contredit par le traité lui-même ?
Jérôme Guedj. Je suis pour le sérieux budgétaire, mais dans un pragmatisme de gauche, en tenant compte de la situation du pays. Je ne veux pas que le remède tue le malade. Or, ce traité est en effet presque contraire à ce que l’on dit vouloir faire par ailleurs.
Par exemple, si on lance des investissements, cela nécessite des services publics en état de marche pour répondre aux besoins que cela suscite. Mais ceux-ci vont être bridés par la règle des déficits structurels, limités à 0,5 % du PIB.
Il y a donc une contradiction. Le problème est posé non seulement par des députés PS, mais aussi par des économistes éminents qui ne sont pas les plus virulents, qui ne sont pas que des « économistes atterrés », et qui s’interrogent sur un rigorisme budgétaire exagéré quand on se trouve dans une situation de récession.
Assainir les finances publiques peut être un objectif légitime, mais si cela se fait au détriment du soutien au pouvoir d’achat, de la lutte contre le chômage et du maintien des services publics, eh bien… on meurt guéri. C’est pourquoi je voterai non à ce traité.
Entretien réalisé par M. S. pour l'Humanité
Photo : Jerôme Guedj avec Marjaulaine Rauze Vice-Présidente communiste du conseil général de l'Essonne
12:37 Publié dans ACTUALITES | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : ps, parti socialiste, entretien, jerome guedj, traité budgétaire européen, tscg | | Imprimer | del.icio.us | | Digg | Facebook | |