Secrétaire nationale du PCF et députée de Seine-Saint-Denis, Marie-George Buffet vient d'intégrer le Front de gauche pour les européennes. Son objectif : « Une harmonisation sociale vers le haut ».
L E Bien public. - Le sommet du G20 va-t-il dans le sens d'une refonte du capitalisme ou n'est-ce qu'un effet d'annonce ?
Marie-George Buffet. - Il y a quand même une série d'engagements mais il n'y a rien de concret permettant, très rapidement, d'agir pour l'emploi, pour sauver les industries, pour faire en sorte qu'on ne reproduise pas d'ici trois-quatre ans la même crise.
Il n'y a aucun droit nouveau pour les salariés, dans la gestion de leur entreprise, aucun moyen de surveiller réellement les choix qui sont faits à l'intérieur de l'entreprise, et surtout, il n'y a aucune remise en cause. Nicolas Sarkozy avait parlé des trois tiers sur la redistribution des richesses produites et il n'y rien concernant cela. Ça veut dire qu'on peut continuer à dilapider les richesses produites par le travail, pour aller vers les dividendes, vers les jeux spéculatifs.
Certes, il y a la liste des paradis fiscaux, mais aucun moyen n'est mis en œuvre pour lutter contre ces paradis fiscaux. On donne plus d'argent au FMI mais il n'y a pas de remise en cause de la façon dont cet argent est utilisé et distribué par le FMI. Il n'y a aucun changement réel de l'engrenage qui nous a plongés dans la crise.
LBP. - Et le décret pour encadrer les rémunérations des chefs d'entreprise aidées par l'Etat ?
M.-G. B. - Quand je l'ai lu, j'ai été choquée. Je sortais de rencontres avec des salariés de Caterpillar, je m'apprêtais à aller voir ceux de Celanese, près de Pau… Ce décret ne les concerne absolument pas. Voilà des entreprises où les patrons se sont servis, continuent à servir leurs actionnaires, à augmenter les dividendes, et on ferme des entreprises, et on licencie (...) On a l'impression que ce sont des machines à fric pour servir les intérêts de quelques-uns. Et c'est ça qu'il faut réformer. On peut montrer du doigt tel ou tel patron. Moi, je suis pour qu'on interdise les parachutes dorés, les stock-options, etc. Mais une fois qu'on aura fait ça, si les actionnaires se goinfrent de dividendes toujours en augmentation, on n'aura pas résolu le problème. Le problème est dans une utilisation différente des richesses produites : ça veut dire salaires, beaucoup d'argent dans la recherche, dans l'innovation technologique et énergétique.
LBP. - Que faut-il attendre du 1er mai, annoncé comme un jour de grand rassemblement unitaire ?
M.-G. B. - Depuis le 29 janvier et le 19 mars, il faut remarquer qu'il n'y a pas eu arrêt des luttes. Les enseignants continuent de faire la ronde de certaines universités, les chercheurs se mobilisent, les hospitaliers font grève… Et ça continue dans plein d'entreprises.
Ce que je souhaite pour le 1er mai, ce que ce jour marque une nouvelle étape par un caractère familial. Il faut que la population soit dans la rue. Comme ce fut le cas pour le CPE. Entre la femme qui a sa petite retraite de 700 € - et qui pour certaines d'entre elles ont dû aller aux Restos du cœur, discrètement, sans se faire entendre, parce qu'elles n'y arrivent plus, avec le prix du gaz, les loyers qui augmentent - et nos jeunes touchés par la précarité, ces jeunes intérimaires qu'on a mis dehors chez PSA, tout converge. Alors marchons ensemble, à l'appel des syndicats. Cette unité des syndicats pour le 1er mai est historique depuis la Libération. Je trouve que c'est un encouragement très fort pour toutes celles et tous ceux qui se battent.
LBP. - Comment percevez-vous le versement de la prime de solidarité de 200 € allouée depuis le 6 avril aux familles les plus modestes ?
M.-G. B. - Quand vous êtes Rmistes, au Smic, 150 ou 200 euros, c'est énorme. C'est plusieurs pleins de courses, c'est une facture énergétique. Le problème, c'est que cette prime est versée une fois. C'est pourquoi je dis que la question est moins sur des primes comme ça que sur des augmentations de salaires. Je pense que nos amis Guadeloupéens, Antillais et Réunionnais ont eu raison de poser ces 200 euros d'augmentation de salaires. Ce qui a été versé là devrait l'être tous les mois à ces personnes.
LBP. - De nombreuses facultés, dont celle de Dijon, connaissent des blocages. Que peut-on répondre à ces étudiants et ces enseignants- chercheurs ?
M.-G. B. - Darcos et Pécresse ont déjà été amenés à reculer. Mais un peu n'importe comment et sans savoir où ils vont. On le voit bien pour la formation des maîtres, puisqu'ils ont dit qu'ils allaient reculer d'un an la réforme, et, en fin de compte, on s'aperçoit que les universités ne sont pas prêtes. Maintenant, il faut dire stop, on arrête tout et on repart à zéro, dans la concertation.
Personne ne dit qu'il ne faut rien toucher à l'université, ni à la formation des maîtres ou encore à la recherche. Les syndicats ont des propositions pour innover, aller de l'avant. Qu'on mette tout sur la table, qu'on négocie réellement, qu'on n'impose pas par des décrets. On ouvre une véritable négociation, sur la durée. A ce moment-là, on pourra commencer à voir fonctionner les universités.
LBP. - En tant qu'ancienne ministre des Sports, vous avez évoqué récemment la « casse du modèle sportif français », et notamment le démantèlement des Creps, dont celui de Mâcon. Pourquoi ?
M.-G. B. - Le secrétariat d'Etat maintient la fermeture de six Creps, dont celui de Mâcon. Il y a effectivement une casse du modèle sportif français puisque ce qui faisait sa force, c'était l'unité entre les différentes pratiques, les niveaux de pratique, y compris le sport professionnel. C'était ce formidable système de formation avec les diplômes jeunesse et sport, avec les Staps, les Creps. Et c'était des formations accessibles, des filières de haut niveau…
Aujourd'hui, le projet défendu, c'est de dissocier tout ça, c'est de faire appel au privé. On voit Romain Mesnil qui court nu dans les rues de Paris, on voit Aron qui cherche un équipementier. Le privé ira là où il y a retour à l'image, il ira se concentrer sur quelques sports. Et puis il n'y a que Bernard Laporte qui n'a pas vu qu'il y avait une crise énorme dans le privé.
On va se retrouver dans une situation où on aura des fédérations riches et des fédérations pauvres. Comme l'Etat se retire, ces fédérations pauvres n'auront aucun recours. C'est donc la casse du modèle sportif français.
LBP. - Vous intégrez le Front de gauche pour les européennes, aux côtés notamment de Jean-Luc Mélenchon. Qu'attendez-vous de ces élections ?
M.-G. B. - C'est un moment très important (...). L'Europe se construit jusqu'à maintenant sur des mises en concurrence qui cassent les services publics, qui font du dumping social, fiscal, sur le tout marchand. Tout doit être dans le domaine marchand. Il a fallu se battre pour que la culture y échappe un petit peu…
On voit bien que le mouvement social aujourd'hui se heurte à cette construction européenne. L'Europe pourrait être au contraire un levier. Je fais la proposition d'un salaire minimum dans chacun des 27 pays de l'Union européenne qui soit d'un montant de 60 % du salaire moyen. Ça permettrait un début d'harmonisation sociale par le haut. En France, ça voudrait dire un Smic à 1 600 € (brut) ; c'est la proposition des syndicats d'ailleurs.
Le 7 juin, il faut un résultat qui permette d'avoir des points d'appui au Parlement européen, parce qu'il a des pouvoirs : on envoie des députés du Front de gauche au parlement pour porter une politique différente.
Le Front de gauche, oui, c'est important. Les gens nous regardent.
LBP. - On évoque une dispersion des voix à gauche. Ça vous inquiète ?
M.-G. B. - Bien sûr, c'est un danger. C'est pour ça que ceux et celles qui se sont réunis pour le non en 2005 doivent de nouveau converger vers la seule liste qui porte ce rassemblement. Les autres listes sont des listes d'une seule force politique, ce qui est vraiment dommageable.
Au Parti socialiste, il y a une acceptation de cette Europe assez construite, le problème se pose différemment. Mais les socialistes qui se sont battus ces dernières années contre l'Europe du tout marchand, ces électeurs socialistes qui ont défendu les services publics, ils ne vont tout de même pas voter pour une liste qui défend le traité de Lisbonne ! Il faut qu'ils utilisent le Front de gauche. On ne leur demande pas de renier leur appartenance mais là, il faut qu'ils votent pour le Front de gauche.
Propos recueillis par Emmanuel HASLE pour le bienpublic