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19/11/2011

Roman national, le 11 novembre et l'Histoire aux oubliettes ?

guerreRI en Picardie -01-[1].jpgQu’est-ce qui a bien pu toquer Nicolas Sarkozy, d’aller fourrer ses petits doigts dans la commémoration du 11 Novembre ? 


Une telle initiative en fin de mandat relève du ridicule, et il doit y avoir 
du M. Guaino là-dessous. Il veut en faire « la date de commémoration de la Grande Guerre et de tous les morts pour la France ».

N’a-t-il donc jamais remarqué que, sur de nombreux monuments aux morts, les noms des sacrifiés de 39-40, puis de l’Indochine, puis de l’Algérie, 
ont déjà rejoint ceux des poilus ?

hollande-fini.jpgHélas ! Le reste de la classe politique n’a guère brillé par la lucidité. M. Hollande, après avoir annoncé qu’il n’était pas d’accord (c’eût été surprenant), a ajouté les précisions suivantes : « Chaque célébration doit (…) en même temps permettre de pouvoir faire une évocation à tous les morts pour la France et notamment ceux qui sont tombés en Afghanistan sur les champs d’intervention extérieure. »

Il souhaite « pouvoir aussi avoir une parole rassembleuse à l’égard de tous ceux qui sont morts pour la France ». Alors, de trois choses l’une.

Ou bien je ne sais pas lire le français. Ou bien cette « évocation à tous les morts » et ce « pouvoir aussi avoir une parole » ne sont pas du français. Ou bien M. Hollande a exprimé son désaccord sans s’apercevoir que son commentaire prouvait qu’il était d’accord. Ou plutôt, qu’il s’en fout, 
et qu’il a parlé au hasard en espérant 
ne déplaire à personne.

Pendant ce temps-là, Mme Eva Joly est allée rendre hommage aux mutins de 1917 au pied du Mur de la paix, à Paris. Elle a noté que « des dizaines de millions de victimes de cette guerre appartiennent dans l’immense majorité au peuple européen », ce qui est perspicace (encore que le chiffre soit tout de même un peu hasardé). « Je voudrais que nous arrêtions de penser que c’est l’Allemagne 
qui a perdu la guerre, que c’est la France qui l’a gagnée », a-t-elle ajouté.

stalingrad7.jpgCertes, certes. Nous pourrions oublier par la même occasion que les Goths ont battu 
les légions romaines à Andrinople, 
que César a battu Vercingétorix à Alésia, que Philippe Auguste a battu les Anglais à Bouvines, que les Espagnols ont vaincu les Turcs à Lépante, que les Coalisés ont battu Napoléon à Waterloo, et que les armées de Hitler furent écrasées par les Russes à Stalingrad.

Mais Mme Joly peut se rassurer : du train où vont les programmes scolaires, plus personne bientôt ne saura plus rien de ces vieilles histoires.

François Taillandier, l'Humanité

28/09/2011

Ne devons-nous pas bannir Certaines expressions Lourdes de sens ?

IZ.jpgDES MAUX POUR LE DIRE !

Excusez-moi, partenaires  !

Par Jean Rabaté, journaliste honoraire.

Les « partenaires sociaux » sont de retour, après avoir été mis entre parenthèses durant la période estivale. Forcément, leur rencontre était alors problématique : les uns fréquentant Saint-Trop’ ou les palaces marocains, les autres les terrains de camping ou… Paris Plages. Mais les voilà revenus.

Dans la presse écrite et parlée, président, ministres et dirigeants patronaux, au nom de la nécessaire u-ni-té-na-tio-nale autour d’une rè-gle-d’or-des-ti-née-à-ve-nir-à-bout-de-la-dette, s’adressent de nouveau aux « partenaires sociaux ». Que ceux-ci réapparaissent dans les propos des membres du gouvernement et des représentant(e)s du Medef, rien de plus normal. S’efforcer de faire croire aux salariés que leurs intérêts sont les mêmes que ceux des actionnaires du CAC 40 fait partie de leur stratégie de défense du capital. Mais une fois encore, que les « partenaires sociaux » reviennent aussi dans l’Humanité, même entourés de guillemets, ça m’a fait grincer des dents.

Ancien journaliste, je sais bien que l’expression est plus pratique (surtout dans un titre) car plus courte qu’une énumération du genre : « les représentants du gouvernement, du patronat et des syndicats », mais cela ne suffit pas à me convaincre. Ces fameux « partenaires sociaux » (avec ou sans guillemets) ne passent pas car je suis convaincu que le choix des mots est partie intégrante de la bataille idéologique qu’il nous faut mener dans notre combat anticapitaliste.

Qu’il me soit permis de faire part ici de deux citations. La première est extraite d’un texte simplement signé Françoise, découvert par hasard sur Internet. Après avoir rappelé qu’en clôture du 34e Congrès du PCF, Marie-George Buffet avait déploré que « les forces progressistes ont, ces dernières années, perdu la bataille du langage », l’auteure écrit : « Je dirais plutôt que cette bataille n’a pas été livrée (…) un seul camp (qui n’est pas celui des « forces progressistes ») a fait preuve d’initiatives en ce domaine. » Et Françoise poursuit : « Être désormais attentif au choix des mots, entre autres ceux qui sont prononcés à la télévision ou à la radio, cela peut devenir une habitude instructive et salutaire.

On remarque alors que les Palestiniens “perpètrent” des attentats, mais que les bombardements israéliens, eux, ne sont jamais “perpétrés”, que la “grève générale sévit” à la Guadeloupe, alors qu’elle aurait pu y régner, que la part des salaires différée est appelée “charges sociales” et que le travail a un “coût”, alors qu’il aurait pu avoir un prix ou une rémunération… (liste non limitative). »

La deuxième citation est extraite de l’ouvrage la Langue du IIIe Reich (1), de l’écrivain et philosophe allemand Victor Klemperer, qui fut aussi député de RDA. « Les mots peuvent être comme de minuscules doses d’arsenic : on les avale sans y prendre garde, ils semblent ne faire aucun effet, et voilà qu’après quelque temps l’effet toxique se fait sentir (…) Le nazisme s’insinua dans la chair et le sang du grand nombre à travers des expressions isolées, des tournures, des formes syntaxiques, qui s’imposaient et qui furent adoptées de façon mécanique et inconsciente. »

À méditer… partenaires !

(1) « Pocket Agora », 1996, Albin Michel.

Jean Rabaté

 

09:33 Publié dans Dico des maux, Point de vue | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : partenaires | |  Imprimer |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

25/06/2011

Les valeurs de la gauche

CHRONIQUE PUBLIEE PAR L'HUMANITE

IMG00393-20110622-1446 (2).jpgJe ne suis pas éditorialiste politique, mais peut-être me reconnaît-on vaguement une propension à entendre les mots qui circulent, à les entendre 
au pied de la lettre, à ne pas les laisser filer dans une attention machinale qui fait qu’à la fin, on peut nous dire n’importe quoi, et ça passe. Ainsi donc, lorsque je lis que, pour participer à la primaire socialiste, il suffit de payer 1 euro 
et de signer une « adhésion aux valeurs de la gauche », eh bien, je me demande ce qu’on est en train de me raconter.

J’ai donc tapé une requête « valeurs 
de la gauche » sur Google, et j’ai assez vite été aiguillé sur le site du PS « primaires citoyennes ». (Primaires citoyennes ! Quelle langue parle-t-on ?) Mais là, malgré tous mes efforts, 
je n’ai pas réussi à découvrir le catalogue de ces fameuses valeurs de la gauche, auxquelles je suis censé souscrire, 
si je le souhaite, pour me prononcer 
entre Mme Aubry et M. Hollande.

Et ce n’est peut-être pas un hasard. Au concile de Nicée, en 325, l’église chrétienne édicta un credo, toujours 
en vigueur. « Je crois en l’Église, une, sainte, catholique et apostolique, 
je reconnais un seul baptême pour 
le pardon des péchés », etc. On est d’accord ou pas, mais bon, ça existe. Mais quelle instance rédigera le credo des « valeurs de la gauche » ? Qui sera habilité à dire ce qu’est « la gauche » ? 
En quoi le Parti socialiste, fondé 
en 1971 au congrès d’Épinay, 
et succédant à la SFIO, laquelle n’existait, en tant que telle, que depuis la rupture du congrès de Tours (1920), qui donna naissance au Parti communiste, serait-il plus particulièrement habilité à décréter ce que sont « les valeurs de la gauche » ? M. Laurent, Mme Joly ou M. Besancenot n’ont-ils pas tout autant de droits 
à se prononcer ? Et d’ailleurs, 
qu’est-ce qu’est « la gauche » ? Et que sont « les valeurs » ? On est ramené 
à une dissertation du bac philo. Apparemment, le PS rend copie blanche.

Voici donc un parti qui noie le poisson 
de ses militants dans le baquet 
des électeurs de gauche. Ils doivent 
être contents, les militants, c’est bien 
la peine de payer une cotise et d’être 
là bénévolement toute l’année. Et qui noie en même temps le poisson de ses idées et de son programme dans l’océan des valeurs de la gauche. « Et voilà, ça vous fera 1 euro, cher monsieur. » 
Au fait, pourquoi pas 1,50 euro ? 
On ne le sait pas non plus. La valeur des choses, n’est-ce pas ! C’est tellement relatif…

François Taillandier

18:56 Publié dans Dico des maux, Idées | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : gauche, valeurs | |  Imprimer |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

04/01/2011

Les augmentations des tarifs de l’électricité et du gaz sont le résultat des politiques menées par le pouvoir

edfhomme.jpgL’époque brutalise. Voyez un peu l’évolution des mots  : «  précarité énergétique  », terme pudiquement employé pour évoquer l’une 
de ces réalités douloureuses en pleine croissance. À savoir l’impossibilité 
de se chauffer ou de s’éclairer, faute de pouvoir payer ses factures. Jusqu’à ces toutes dernières années, 
le phénomène était resté marginal.

Mais, depuis 2008-2009, il est d’abord devenu endémique, avant de connaître une véritable explosion. Officiellement, environ 3,5 millions de personnes sont entrées dans cette nouvelle classification de la pauvreté, qui n’est, comme chacun le sait, qu’une sous-classification de la grande pauvreté tout court…

En 2000, les moins aisés consacraient 7 % 
de leurs revenus à leurs factures d’énergie. 
Ce pourcentage atteint les 15 % aujourd’hui. Et demain  ? N’oublions pas que la lutte contre cette précarité énergétique est l’une des innombrables promesses non tenues du Grenelle de l’environnement.

 Par grand froid, dans certaines régions, un ménage sur quatre vit quotidiennement cette galère, souvent tenue secrète. 
Car, en matière 
de logement, tous les indicateurs affichent le rouge  ! Pas moins de 4,5 millions de personnes sont mal logées, auxquelles il convient d’ajouter le 1,5 million en situation d’impayés et les 6,7 millions en situation dite de «  réelle fragilité  »… Conjugués, ces éléments forment une spirale descendante  : impayés, endettement, restriction ou coupure d’énergie, problèmes de santé et isolement social… Et pendant ce temps-là  ?

Les Français subissent de plein fouet les augmentations des tarifs 
de l’électricité et du gaz, qui ne sont pas une fatalité 
mais le résultat mécanique des politiques menées 
par le pouvoir. Avec l’épouvantable loi Nome, 
le gouvernement a résolument fait le choix de financer 
les opérateurs privés au détriment d’EDF, ce qui entraînera de nouvelles hausses. Sans parler des tarifs 
du gaz, qui, pour satisfaire les appétits des actionnaires du groupe GDF Suez, ont grimpé de plus de 50 % 
depuis la privatisation. Oui, 50 %...

Au même titre que le logement, le droit à l’énergie est indispensable à la vie et doit être reconnu comme tel  ! Des mesures immédiates et d’ampleur doivent donc s’imposer aux logiques financières  : la baisse des tarifs du gaz, un moratoire 
sur ceux de l’électricité et l’interdiction pendant la trêve hivernale de l’ensemble des coupures de fourniture énergétique, comme l’a proposée récemment la communiste Marie-George Buffet au Parlement, sous forme de projet de Loi.

L’État, premier actionnaire de GDF Suez et majoritaire dans le capital d’EDF, en a le pouvoir et le devoir. Mais le sarkozysme connaît-il encore l’existence de la notion même de «  service public » ?

Article publié dans l'Humanité

17:34 Publié dans ACTUALITES, Dico des maux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : énergie, prix, hausse, gouvernement | |  Imprimer |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

24/05/2010

Des maux pour le dire : « T’ »

Sarkorobin.jpgLa France sarkozienne par François Taillandier, article publié dans l'Huma

Il y aurait mille choses à dire de 
« La Grande Consult’ », ce questionnaire-sondage lancé par « les pouvoirs publics », en partenariat avec la radio Skyrock 
(« free people network ») auprès 
des « jeunes », histoire de connaître 
leurs questionnements et leurs problèmes (« Exprime-toi pour que ça bouge  ! »).

Mille choses à dire, dès le départ, 
comme en témoignent les nombreux guillemets ci-dessus. C’est quoi, 
« les pouvoirs publics »  ? L’affaire a quand même coûté deux millions d’euros, d’après mes renseignements, et pour ce prix-là on aimerait savoir quel(le) ministre l’a décidée, et quel est le fichu communicant qui a ramassé l’oseille.

 On aimerait savoir aussi le pourquoi de cette bénédiction donnée à Skyrock, « free people network »  : le réseau des gens libres, rien que ça  ! Enfin, comme cette grande initiative fait suite au débat sur l’identité nationale, on peut aussi 
se demander pourquoi, soudain, il n’est plus question de ladite dans les questions adressées aux djeunes. C’est bizarre, non  ? On ne leur parle plus que de leurs problèmes d’appart’, de job, de « potes » et de planète. Ça ne les regarde pas, alors, cette fameuse identité nationale  ?

Mais bon, ces questions ont déjà été abondamment traitées dans les médias, et je ne vais pas insister. Par contre, s’agissant du très démagogique style parlé employé par les enquêteurs, je voudrais m’attarder sur le recours systématique à l’apocope « t’ » à la place de « tu »  : « Quand t’es avec tes potes… » « Si t’avais un vœu à faire… » 
« T’as ton ordi perso  ? » « T’as déjà taffé  ? » « T’habites chez tes parents  ? »

Dans la France sarkozyenne, les jeunes gens n’ont pas droit à « vous », ils n’ont pas droit à « tu », ils ont droit à « t’ ». 
Je crois que ça suffit, que ça dit tout. 
Le langage n’a pas été inventé pour 
les chiens. L’histoire de toute une société nous indique qu’il y a des distinctions à faire. On marque son respect a priori en disant « vous ». Le « tu », en principe, c’est à chacun de nous de l’autoriser 
(ou d’en demander l’autorisation). 
Par conséquent, déjà, quelqu’un 
qui tutoie d’office se comporte de façon abusive. Alors que dire de cette chose, « t’ » ? C’est ce qui reste d’une personne, « t’ », aux yeux de nos pouvoirs publics  ? Nous permettons au gouvernement 
de nous dire « t’ » ?

Moi, je n’ai pas de conseil à donner 
à la jeunesse pour qu’elle s’exprime 
et que ça bouge, mais je lui donne 
quand même celui-là  : ne soyez jamais 
le « t’ » de personne !

15:48 Publié dans Dico des maux | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : skyrock, "t" | |  Imprimer |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

17/12/2009

Se battre c’est la preuve qu’on existe

PAR CLAUDE TEDGUY, PHILOSOPHE ET PSYCHANALYSTE

manifn1.JPGComment l’espoir déçu peut-il parfois porter de saines colères ?
Non, monsieur Camus, l’espoir n’équivaut pas à la résignation. Mais oui, « vivre ce n’est pas se résigner ».
Cependant, il n’y a pas de vie, d’existence plus précisément, sans espoir. Et cela justement parce qu’on lutte sans cesse pour exister et d’abord pour vivre. On a donc le droit d’espérer. Et du coup, cette banale lutte pour la vie… espoir de voir se réaliser ce à quoi on croit avoir naturellement droit, espoir d’améliorer sa condition de vie, espoir de pouvoir élever ses enfants comme il le faudrait, espoir de voir ses efforts récompensés, espoir de faire triompher certaines valeurs morales… espoir, et pourquoi pas, de changer le monde… Et nous luttons pour cela. Nous ne nous résignons pas.
Oui, nous nous battons sans cesse et pas à pas. Nous refusons les vérités inventées, nous nous opposons aux « réalités » tueuses d’hommes. Nous nous élevons contre les mensonges et les manipulations destinées à hypnotiser les peuples. Ô utopistes têtus que nous sommes, nous nous révoltons ! L’espoir est une révolte. L’espoir c’est La révolte de l’homme conscient de sa condition, et qui refuse ce qu’on veut lui faire dire ou faire. Parce qu’il est assez compétent pour comprendre par lui-même, et qu’il sait, seul, ce qu’il a à dire sans qu’on lui « souffle » son discours ou sa leçon. Et ce qu’il dit, il le dit comme il sait le dire, à sa façon, certes, mais il le dit.
Avec ses propres mots, pas avec ceux qui sont passés par les moules de la politique ou des politiques, nous qui croyons à une « représentation » effective du peuple dans quelque Assemblée que ce soit… Représentation il y a, certainement, mais au sens de prestation théâtrale pour la galerie. De cela, il n’y a rien à espérer… si non se résigner, c’est vrai. Mais l’homme ne veut pas de ces recettes qui finissent par faire en sorte qu’il soit mangé à toutes les sauces. D’où qu’il vienne, quel qu’il soit, quoi qu’il fasse, quelque chose en lui refuse désespérément qu’on amoindrisse sa condition… Il sait que la vie est courte. Il sait que ses combats ne débouchent presque jamais sur des victoires… et d’ailleurs il ne se bat pas pour gagner, il se bat pour l’honneur. Est-ce à dire qu’il se bat en acceptant d’avance la défaite ? Non. Il se bat parce qu’il est un homme tout simplement. Sans intention d’amoindrir ou d’avilir l’autre… et parce que se battre c’est la preuve qu’on existe, qu’on comprend, qu’on s’oppose et qu’on refuse.
Nulle violence dans ce combat, nulle folie destructrice, nulle haine. Mais au contraire, un appel à la fraternité nécessaire, à une fraternité « malgré tout », sans laquelle le temps d’existence sur cette terre serait empoisonné, et passé en viles querelles rabaissant l’être à un état au-dessous de tout ce qui vit. Cependant, les luttes ne peuvent pas déboucher sur rien. La pression, la puissance au sens physique, des récriminations et des oppositions, se font obligatoirement et inconsciemment de plus en plus fortes. Plus il y a de résistance, plus la poussée s’intensifie. Le phénomène de la poussée et de la résistance n’a rien là de psychologique, il est scientifique… Mais à un certain moment, il mute : de physique, il devient affectif.
L’espoir déçu sans cesse, bafoué, assassiné, moqué, rejeté, laisse la place dans le coeur de l’homme à la colère. Non, encore une fois, pas de colère appelant la vengeance, pas de colère « aveugle » et donc injuste, pas de colère destructrice qui fait table rase de tout, et même de ce qui ne le mérite pas, non ! Nous parlons de cette colère qui ressemble à l’indignation devant des injustices répétées insolemment comme une affirmation de puissance, de toute-puissance et de domination absolue et inhumaine. Voilà ce dont je parle.
La pauvreté chronique, le malheur installé, la joie avortée, le besoin même de l’essentiel pour survivre au quotidien impossible, la faim, oui, la faim qui pousse de plus en plus des êtres à fouiller dans les poubelles… et les discours vicieux et criminels de ceux qui nous gouvernent ne pourront faire autrement que de précipiter l’avènement de la colère… Saine colère, juste colère, légitime colère.
Colère de l’homme déçu, à qui on s’obstine à ne pas accorder le peu qu’il demande à la vie, et auquel il a un droit naturel : la dignité. Il ne peut pas laisser mourir l’espoir. Il veut croire dans la condition humaine. Il n’accepte ni pour lui, ni pour celui qui l’oppresse et contre lequel il se bat, que l’injustice triomphe. Il veut garder, malgré les offenses et les douleurs, son coeur ouvert au partage des bienfaits de cette vie et de cette terre. Il veut croire que « malgré tout » l’amour triomphera des manigances et des vilenies. Mais, pour justement ne pas laisser mourir l’espoir, il se maintient en état de vigilance et d’éveil. Il ne veut pas renoncer à cet état de conscience qu’il a fini par atteindre et qui lui laisse les yeux ouverts : la colère de l’espoir.

10:07 Publié dans Dico des maux | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : colère, se battre | |  Imprimer |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | | Pin it!

22/09/2009

Les mots qui tuent

de Thierry Beinstingel écrivain (*), salarié à France Télécom

singedrole.jpg« J’ai la chance d’exercer deux activités que j’aime. La première est d’écrire des livres. La seconde est de travailler à France Télécom. Dans la triste actualité de cette entreprise, la passion que j’éprouve pour mon métier est toujours aussi vivace.

J’exerce pourtant une fonction honnie : je suis de ceux qui poussent à aller voir ailleurs. Je suis un conseiller en mobilité et je rencontre des recruteurs d’autres administrations. Avez-vous des emplois à nous proposer ? Drôle de métier que celui qui consiste à faire partir les salariés d’une entreprise. Je considère pourtant comme une fierté la centaine de réussites individuelles dont je suis à l’origine : Étienne, agent d’entretien dans une maison de retraite ; Michel, informaticien à l’armée ; Nathalie et Isabelle, contrôleurs du Trésor ; Éric et Édith, professeurs en lycée… Ces réussites me touchent car elles sont le fruit d’une rencontre : parler, comprendre, proposer.

Ce sont des actions simples, un face-à-face sans artifice, et tout cela aboutit à un collègue qui change de vie, prend un nouveau départ. Combien m’indiffèrent alors les objectifs, la lourde comptabilité qui donne à mon métier un goût amer : il s’agit tout de même de diminuer la masse salariale.

Dans notre jargon, on appelle cela "faire du moins". N’importe quel salarié de mon entreprise sait ce que veut dire "faire du moins". Combien de fois a-t-il entendu cette expression dans la bouche de son chef, d’un directeur, d’un collègue ? "Faire du moins", c’est diminuer les charges, donc augmenter la productivité, être plus compétitif. Au quotidien, "faire du moins", c’est regrouper des activités, des locaux, du matériel, des véhicules. C’est aussi s’entendre répéter pendant trois ou six mois qu’il y a deux ou trois personnes en trop dans l’équipe de travail à laquelle on appartient. Et c’est se demander avec anxiété pendant trois ou six mois si ça ne va pas vous tomber dessus !

"Faire du moins", c’est une expression qui résume tout, une menace devenue banale. "Faire du moins", c’est un jour un salarié qui prend cela au pied de la lettre, pour lui seul, et qui commet l’irréparable. Il fait moins un. Ce sont des mots qui tuent.

Comme beaucoup de mes collègues, je me sens blessé moi-même par cette vague de suicides. C’est l’exacte sensation, la même que j’avais éprouvée il y a trois ans, quand on m’avait annoncé le décès de mon responsable, retrouvé dans son bureau après avoir pris soin de s’isoler juste avant le week-end pour avaler un cocktail mortel de médicaments et d’alcool. On avait dit qu’il avait des problèmes personnels, mais le fait est là : c’était dans son bureau qu’il avait choisi de mettre fin à ses jours. C’est pourquoi, il ne faut minimiser aucun suicide qui se déroule sur le lieu de travail. Et qui s’allie avec la langue que nous parlons tous : "Faire du moins".

 La première de mes passions est le langage. Mes récits se nourrissent de lui mais aussi de mon environnement professionnel. Mon premier roman, Central, paru il y a neuf ans, décrivait l’épopée unique d’une administration qui se transforme en entreprise. C’était du vécu et le langage, déjà, y avait toute sa place : slogans à l’infinitif, phrases sans sujet inspirées par ma direction. Cet effacement du sujet était le signe de l’interchangeabilité des hommes, résumés à de simples fonctions ou métiers. L’entreprise a toujours tenté de dominer le langage pour ses fins propres. Mais les mots ne se laissent pas ordonner facilement et l’expression anodine "faire du moins" est revenue comme un boomerang exprimer une réalité délestée du poids de termes alambiqués et savants, à peine prononcés, déjà obsolètes.

Mes mots à moi vivent à travers mon écriture. Ils débordent au travail aussi. On a récemment créé un espace de détente en face de mon bureau pour les téléopérateurs d’un plateau situé deux étages plus bas. Dans ce lieu tout neuf, j’ai laissé sur une table basse mon dernier livre, un recueil de nouvelles, histoire d’ajouter à la relaxation prévue. Hélas, je ne vois jamais personne y entrer. Sans doute a-t-il été décidé d’une manière unilatérale au sein de notre entreprise surorganisée.

Soyez heureux, relaxez-vous, nous vous l’ordonnons. Mais ça va changer : on nous a promis un dialogue réel. En attendant, je continue mon métier au bureau d'en face, je "fais du moins" pour le mieux et pour le bien de quelques-uns, heureux de retrouver un vrai service public  : « "Bonjour, avez-vous des emplois à nous proposer ?" »

(Dernier ouvrage paru, Bestiaire domestique. Édition Fayard, 2 009.)

Publié dans l'Humanité

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