07/08/2009
ANTONELLE, LE PREMIER MAIRE COMMUNISTE D'ARLES
1747-1817 . Né chevalier d’Antonelle, il prit le parti de la Révolution. Athée, humaniste, et convaincu qu’il fallait abattre l’ordre ancien, Pierre-Antoine Antonelle siégea au tribunal révolutionnaire. Proche de Babeuf, il est emprisonné après l’échec de la conspiration des Égaux. Sous l’Empire, il se retira dans une dissidence silencieuse.
Longtemps, Pierre-Antoine Antonelle, qui renonça à toute particule dès le printemps 1790, quelques mois avant même la loi abolissant tout signe distinctif de noblesse parmi les citoyens, fut appelé faussement « marquis d’Antonelle » par ses historiographes amateurs, lui qui n’était que chevalier, certes de fort vieille famille arlésienne anoblie au XVIe siècle. Cette erreur répétée de génération en génération exprimait sûrement le décalage spectaculaire entre le rang, la richesse, les manières nobiliaires dont cet homme ne se départit jamais et l’intensité, la générosité, l’intégrité de son engagement, depuis le premier jour de la Révolution jusqu’à la fin de sa vie, auprès des plus défavorisés, pour la cause de l’insurrection contre toute forme d’injustice, qui l’ont fait surnommer - injustement, mais de façon révélatrice - au début du XXe siècle, dans - l’« encyclopédie » des Bouches-du-Rhône, « le premier communiste provençal ».
Jusque dans sa mort en 1817, cet homme portait le refus de l’ordre ancien fondé sur l’alliance de la force arbitraire et de la foi révélée. Lors de ses obsèques, le clergé arlésien, qui allait refuser de décerner les honneurs à sa dépouille, faillit provoquer une émeute du petit peuple d’Arles et de son quartier populaire de la Roquette, offusqué que l’on ne célèbre avec dignité celui qui avait toujours vécu parmi les petites gens de la cité, refusant de s’installer dans le quartier huppé de la Hauture et dont la bonté et l’altruisme avaient provoqué la naissance d’un proverbe provençal pour signifier l’affabilité : « Es moussou d’Antonello, lou capeu à la man » (C’est monsieur d’Antonelle le chapeau à la main).
La bonne société bourgeoise du XIXe siècle allait s’occuper de son cas, effaçant de la mémoire collective ce personnage dérangeant et sulfureux, faisant tache dans le tableau collectif des élites conservatrices arlésiennes. Antonelle ? Une arlésienne au masculin. Il aura fallu attendre plus de cent soixante ans ans et toute l’inventive curiosité de mon maître, Michel Vovelle, qui me confia alors la redoutable tâche d’étudier, d’analyser puis de comprendre le destin étonnant de cet homme hors du commun, pour que le révolutionnaire d’Arles retrouve une place plus juste dans la Révolution française.
Antonelle naquit en 1747, cadet d’une famille ancienne et destiné au métier des armes, métier dans lequel il ne brille guère, bien plus préoccupé de lire les systèmes de l’abbé de Condillac, constructeur du système de pensée sensualiste qui eut une importance cruciale dans la France de la seconde moitié du XVIIIe siècle, parmi les élites en plein éloignement des dogmes du catholicisme dominant. C’est un matérialisme politique que se construit Antonelle, une philosophie point seulement athée mais surtout conséquente au moment de penser les systèmes de domination de l’Ancien Régime comme le résultat d’une idéologie à abattre.
Dans ces conditions, l’année 1788, déjà très agitée en Provence, le trouve préparé à l’action. Dès lors, il devient, au grand dam de la bonne société arlésienne, un renégat, désormais attaché et sans la moindre faille à la cause du petit peuple d’Arles, pas seulement le tiers-état, mais le peuple qu’il appelle du « quatrième ordre », pêcheurs, agriculteurs et artisans composant cet étranger mais riche microcosme arlésien.
Antonelle est d’abord le premier maire élu de la ville d’Arles en février 1790, grand artisan du rattachement du Comtat-Venaissin et de la ville d’Avignon au printemps 1791, puis député des Bouches-du-Rhône à la Législative en 1791 et 1792. Il est pourtant bien plus connu pour son rôle de juré de tribunal révolutionnaire. L’étude précise des Archives nationales montre qu’il a participé à 53 procès, prononçant 38 peines de mort, et qu’il fut un juré implacable lors des grandes affaires de l’automne 1793, notamment au moment de la condamnation des Girondins et de la veuve Capet, ce qui n’a pas peu contribué, comme on peut l’imaginer, à la construction de sa légende noire. Encore faut-il ne pas oublier qu’il fut, des 60 jurés de la Terreur, le seul à faire publier les justifications de ses prises de position, ce qui lui valut d’ailleurs d’être emprisonné sur ordre de Robespierre, avant les grands procès du printemps 1794, Antonelle étant proche à la fois des dantonistes et des hébertistes.
Libéré en Thermidor, il se rend bien compte que la Révolution a changé : la décapitation du mouvement populaire au printemps 1794, continuée au printemps 1795, a considérablement transformé une histoire initiée en 1789, qui ne passe plus par la transformation sociale comme garantie du changement heureux de la société, mais par la stabilisation institutionnelle de la République, par une bourgeoisie aux commandes de l’État.
Antonelle connaît ses élites nouvelles et peut apprécier la misère dans laquelle se trouve le peuple parisien : seule la voie de la clandestinité s’offre à lui et à quelques démocrates, dont Babeuf, en 1795 et 1796. Proche du Tribun du peuple, il en diffère par son analyse politique de la crise, ne croyant pas à une solution de partage économique comme horizon d’idéalité, mais défendant une éducation politique du plus grand nombre pour mettre en adéquation la Révolution avec ses principes d’égalité et de fraternité.
Après le fiasco de la conspiration des Égaux et le suicide de Babeuf, Antonelle sort de nouveau de prison avec une nouvelle idée : conquérir l’opinion publique en devenant le rédacteur en chef de l’organe de la gauche radicale : le Journal des hommes libres. C’est dans les colonnes de cette feuille fort lue qu’Antonelle va inventer une expression galvaudée depuis et devenue banale aujourd’hui mais qui à l’époque, en 1797, fait l’effet d’un choc dans le monde politique en réunissant deux concepts difficilement conciliables : la « démocratie représentative ». Antonelle est bien le concepteur et le divulgateur dans son journal du nom de ce système politique qui conçoit la gouvernance possible d’un vaste État par délégation de pouvoir, à la seule condition qu’elle soit fondée sur le suffrage le plus large possible, masculin à l’époque. Mais pour que ce système politique fonctionne, des exigences sont sans cesse rappelées en 1798 et 1799, jusqu’à la veille du coup d’État des militaires : éducation populaire du plus grand nombre, liberté totale d’expression mais surtout de réunion, ateliers de travail pour les plus démunis, fraternisation avec les peuples européens et non conquêtes des espaces limitrophes de la République, ouverture de la France vers une République fédérative des peuples européens. Toutes ces idées doivent constituer le fondement de la démocratie représentative selon Antonelle, dont les articles ne contribuent pas peu au succès relatif de cette gauche aux élections de l’an VI et de l’an VII (1798 et 1799) jusqu’à ce que la bourgeoisie, affolée par ces victoires, ne recherche avidement un bras armé pour imposer un nouvel ordre méritocratique, construit sur une République conservatrice.
Après que Bonaparte se fut emparé du pouvoir illégalement, il ne reste plus à Antonelle et ses compagnons qu’à se retirer dans une opposition vouée à l’échec en ces temps de République autoritaire ou à une résistante silencieuse. C’est cette voie que choisit Antonelle, à partir de 1802, décidant de consacrer une bonne part de sa fortune à la bienfaisance philanthropique, « Es moussou d’Antonello, lou capeu à la man », s’exerçant à une dissidence inattaquable, celle du partage de son bien avec les plus démunis, mais impardonnable pour les nouveaux notables de l’Empire, ne pouvant supporter ce partageux et s’acharnant ensuite sur sa mémoire, le faisant passer pour un illuminé, évidemment.
Il y a encore quelques années, à l’emplacement de la maison des Antonelle à Arles, le thésard curieux avait pu trouver un foyer de qualité pour travailleurs immigrés… L’occupant des lieux de 1817 n’aurait pas désavoué cette destination.
Publié par l'Humanité
Pierre Serna professeur de l’université de Paris-I Panthéon-Sorbonne,
Directeur de l’Institut d’histoire de la Révolution française. Auteur d’Antonelle, aristocrate révolutionnaire 1747-1817, Paris, Éditions du félin, 1997.
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