Pacte de stabilité : intervention du député communiste Nicolas Sansu contre les orientations du gouvernement (30/04/2014)

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Monsieur le président, monsieur le Premier ministre, mesdames, messieurs les ministres, chers collègues, la trajectoire des finances publiques, qui reprend le pacte improprement dénommé de responsabilité, soumise à la représentation nationale marque une accélération dans ce qu’il faut bien appeler le virage social-libéral du Gouvernement.

Les députés du Front de gauche ne l’accueillent pas de gaîté de cœur. La question n’est pas d’ergoter sur plus ou moins 0,1 % de croissance en 2015 ou 2016, comme le fait la droite pour justifier le rejet d’orientations qu’elle approuve sur le fond, mais porte sur la stratégie adoptée. Soutenir exclusivement l’offre et opérer des coupes drastiques dans les finances publiques, comme vous le proposez, ou bien soutenir la demande et actionner le levier de l’investissement public pour soutenir la croissance, tels sont les termes du débat alors que nous vivons une crise économique et financière destructrice.

Vous avez choisi. Votre programme, c’est l’austérité, cette austérité qui a fait tant de mal en Europe avec son cortège d’inégalités. L’échec des politiques conduites depuis des années, la lourde sanction électorale infligée à l’ensemble des forces de gauche, à commencer par la formation politique à laquelle vous appartenez, monsieur le Premier ministre, auraient dû entraîner un changement de cap.

Des voix s’élèvent chez nos concitoyens, chez les représentants syndicaux, chez les élus de la gauche, parmi les économistes, pour vous enjoindre de ne pas vous enferrer dans une rigueur irréaliste et désastreuse pour la vie de millions de Françaises et de Français.

Il faut être concret, monsieur le Premier ministre : je veux vous parler de Marie-Claude, employée de coiffure à la retraite, qui survit avec ses 750 euros par mois et qui, à soixante-trois ans, est obligée de reprendre une activité auprès de personnes âgées car elle ne s’en sort pas ; je veux vous parler de Christian, chef d’une entreprise de travaux publics de 80 salariés qui voit les commandes des collectivités territoriales fondre comme neige au soleil, qui plus est dans des territoires fragiles et qui s’alarme de la baisse de 11 milliards de dotations aux collectivités car c’est autant d’investissement public en moins, autant d’emplois menacés, autant d’équipements utiles à la population qui seront abandonnés ; je veux vous parler de Marwane, jeune homme de vingt-huit ans qui, de stage en contrats d’intérim, n’a connu que la précarité dans sa vie active, Marwane condamné à vivre chez ses parents, sans pouvoir gagner l’autonomie à laquelle tout jeune aspire. Voilà la réalité des couches modestes.

Certes, tous nos concitoyens ne vivent pas de telles difficultés, de telles angoisses, mais force est de constater que les politiques conduites depuis trop d’années, dans un cadre européen coercitif, ont eu pour conséquence désindustrialisation, accroissement de la pauvreté, explosion des rendements du capital au détriment du travail.

Nous, députés du Front de gauche, estimons que vous faites fausse route. L’accueil favorable d’une partie de la droite – nous venons de le voir avec le discours de M. Vigier – devrait d’ailleurs vous alerter. Comme disait un célèbre combattant de la liberté : « Quand ton adversaire te félicite, demande-toi quelle erreur tu as faite. »

Il y a à notre sens urgence à construire une politique véritablement alternative, une politique novatrice, qui sorte du carcan européen actuel. Le Traité européen dit de stabilité, de coordination et de gouvernance est le péché originel de ce quinquennat. Il a été ratifié en 2012 sans qu’une ligne en soit modifiée. Les mesures du pacte de croissance, pourtant promises, n’ont pas vu le jour et notre pays se trouve désormais entraîné, comme ses voisins, dans une spirale de la déflation, de stagnation et de chômage.

L’Europe est devenue, pour la plupart des peuples qui y vivent, synonyme de dégradation des conditions de vie et de travail, d’aggravation des inégalités, de démantèlement des services publics, de casse des acquis sociaux, de déchaînement de la concurrence. L’Europe sociale, l’Europe de la coopération et de la solidarité si chère à la gauche ne verra pas le jour sans une autre politique monétaire, sans recours à l’investissement public, sans harmonisation par le haut des normes fiscales, sociales et environnementales.

En prenant fait et cause pour la poursuite de la rigueur, vous prenez le chemin opposé. Ce n’est pas un chemin de courage et de sérieux mais un chemin de capitulation devant les exigences d’un capitalisme financier qui continue d’engranger des profits colossaux. Le discours du Bourget est bel et bien enterré. La spéculation bat son plein, les encours des produits dérivés au niveau mondial sont à présent aussi élevés qu’avant la crise financière de 2008.

Pendant que l’instauration d’une taxe sur les transactions financières s’enlise, l’accord de libre-échange entre l’Europe et les États-Unis se prépare dans le plus grand secret avec des conséquences sur les conditions faites aux salariés et sur l’environnement. Ce projet ardemment soutenu par les multinationales leur permettra d’attaquer en justice tout État qui ne se plierait pas aux normes du libéralisme. Ces normes libérales, ce sont celles qui causent des drames tels que celui de Rana Plaza, au Bangladesh, il y a un peu plus d’un an, avec des multinationales qui piétinent les règles sociales et environnementales et méprisent la vie humaine.

Mettre en concurrence les êtres humains, mettre en concurrence les territoires, en France, en Europe ou dans le monde, c’est le credo des puissants pour dégager toujours plus de profits financiers. Rappelez-vous ce formidable mot de Warren Buffet, une des premières fortunes mondiales, qui disait il y a peu : « La guerre des classes existe, c’est un fait, mais c’est la mienne, la classe des riches, qui mène cette guerre et nous sommes en train de l’emporter. »

Face à cette situation, notre pays a une grande responsabilité. La France est un grand pays qui peut jouer un rôle majeur dans la réorientation de l’Europe, pour peu qu’elle en ait le courage et la volonté. C’est ce courage et cette volonté qui manquent aujourd’hui. Le renoncement à engager un bras de fer avec nos partenaires européens conduit à prévoir l’an prochain, par le biais de ce pacte de stabilité, des mesures douloureuses, politiquement et socialement indéfendables, dont les classes moyennes et populaires vont une nouvelle fois faire les frais.

Monsieur le Premier ministre, vous êtes, comme trop de gouvernants avant vous, victime ou complice du « syndrome TINA » – There Is No Alternative –, selon la célèbre formule de Mme Thatcher. Or il y a une alternative ! Redresser les comptes publics, chacun s’accorde à en reconnaître la nécessité ; mais alors, pourquoi n’avoir dans le viseur que la dépense publique et sociale ? Pourquoi ne pas s’attaquer réellement à la fraude, à l’évasion fiscale, à la fraude à la TVA, à l’optimisation fiscale ?

Pourquoi ne pas revenir sur les niches fiscales et sociales, aussi injustes qu’inefficaces, qui ne font que gonfler le patrimoine des plus fortunés ? Elles atteignent des niveaux inégalés !

Deuxième grande erreur, à notre sens, dans ce plan d’austérité de 50 milliards, c’est la correspondance que vous établissez entre compétitivité et baisse du coût du travail : 41 milliards d’euros seraient octroyés aux entreprises, sans contrepartie ni discernement ! Si l’on peut comprendre que des TPE, des PME, des ETI de l’industrie ou des services, puissent avoir besoin de soutien, le débat que nous avons eu lors de l’adoption du CICE, le crédit d’impôt compétitivité emploi, reste pleinement d’actualité. Comment accepter que les grands groupes bancaires et assurantiels ou les groupes de la grande distribution bénéficient de ces milliards de suppression de cotisations sociales et de la quasi-extinction de l’impôt sur les sociétés, lequel passera de 52 milliards d’euros en 2013 à moins de 30 milliards d’euros en 2015 ? Ce sont bien les ménages, et d’abord les couches moyennes et modestes, qui seront appelés à payer la note par la hausse de la TVA, par l’augmentation des cotisations des mutuelles, par le gel des prestations sociales !

Si nous vous alertons sur ce non-sens de votre obsession du coût du travail, c’est que vous n’évoquez jamais – jamais ! – le coût du capital. La rémunération excessive du capital fait pourtant mal à nos entreprises, mal aux salariés, mal au pays ! Car si c’est « ceinture » pour les retraités, les fonctionnaires, les salariés du privé, c’est happy hour pour les actionnaires :

5 milliards d’euros de dividendes distribués chez Vivendi, des dividendes jamais aussi élevés depuis trente ans, selon un article des Échos du 14 avril dernier !

Dans ce cadre, les 500 millions d’euros prévus pour les petites retraites ou pour le plan pauvreté ne sont pas des avancées, monsieur le Premier ministre : ce ne sont que des non-reculs ! Et ces 500 millions d’euros représentent 1 % du total des 50 milliards de coupes dans les dépenses publiques et sociales !

Pour stimuler l’investissement et l’emploi, il est possible d’emprunter d’autres chemins : doter notre pays d’une véritable banque publique d’investissement, quand celle mise en place fin 2012 reste sous-dotée ; moduler l’imposition des entreprises pour favoriser celles qui investissent et créent de l’emploi et sanctionner celles qui ne se préoccupent que de rendements financiers et de taux de rentabilité à deux chiffres ; relancer le pouvoir d’achat par la hausse des salaires et des pensions pour soutenir la demande intérieure ; favoriser de nouveaux modes de consommation et la transition énergétique.

J’ajoute la nécessité de soutenir l’investissement public des collectivités territoriales et les services publics locaux, véritables amortisseurs des difficultés quotidiennes de nos concitoyens.

La crise économique et sociale que nous traversons depuis cinq ans a signé la faillite du prétendu modèle économique libéral. Souvenez-vous que ce modèle néolibéral n’a pu être sauvé qu’en prenant en otage les peuples, en leur imposant de payer la facture de dettes privées prises en charge par l’endettement public !

Quand la misère grandit, que les inégalités explosent, que soixante-sept personnes possèdent autant que 3,5 milliards d’êtres humains, un tel système est à bout de souffle. Sans la volonté farouche de combattre le capitalisme financier et son cortège de désastres économiques, sociaux et environnementaux, le risque est de voir triompher les pires forces réactionnaires, comme nous risquons de le constater dans moins de quatre semaines lors du scrutin européen.

La responsabilité historique de la gauche est d’ouvrir une nouvelle voie, une voie qui combatte l’impuissance publique. C’est la raison pour laquelle les députés du Front de gauche ne peuvent que s’opposer à la feuille de route que vous avez tracée. Notre vote contre est aussi une main tendue à toutes celles et tous ceux qui se reconnaissent dans une gauche qui tout à la fois rassemble et ne renonce pas. Où est le souffle de 1936, de 1945, de 1981, voire de 1997 ? Notre pays n’est jamais si grand ou si fort que quand il ouvre de nouvelles perspectives progressistes, des perspectives de rassemblement, des perspectives qui lient progrès social, efficacité économique et transition écologique.

Monsieur le Premier ministre, face à une extrême droite qui se tient en embuscade et voudrait passer pour la seule alternative à ce modèle social-libéral ou néolibéral à l’œuvre en France, en Allemagne, en Italie, écoutez la voix de celles et ceux qui refusent la division et portent les valeurs d’égalité, de fraternité, de liberté, les valeurs d’efficacité économique par la justice sociale !

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