Faites entrer les accusés !
05/02/2013
Flagrants délires contre les ouvriers en lutte
Faites entrer les accusés ! Les ouvriers de PSA et de Goodyear, en lutte contre les fermetures, sont les cibles d’une violente offensive médiatique, sur fond de transposition parlementaire de l’accord de flexibilisation de l’emploi.
Drôle de climat social, politique et médiatique sur le pays. Il pleut des « boulons », des « oeufs » et des « crachats ». La presse aux ordres le répète depuis quelques jours : les grévistes engagés dans le mouvement contre la liquidation de l’usine Peugeot Citroën d’Aulnay-sous-Bois (Seine-Saint-Denis) feraient régner dans les ateliers la « terreur », multipliant les « violences » et les « intimidations » envers les autres salariés.
Et chez Goodyear à Amiens (Somme), alors que la direction vient d’officialiser un projet de fermeture, ce sont les salariés qui, en refusant, avec leur syndicat, le saccage de l’usine programmé depuis cinq ans, auraient en fait alimenté leur propre malheur, par « dogmatisme ». La cause est entendue : ceux qui luttent sont des « casseurs », et la CGT, bien représentée tant chez PSA que chez Goodyear, les chapeaute ! des médias bien loin de la réalité sur le terrain
Dans les journaux et sur les ondes, loin de la réalité sur le terrain (lire en page 4, notre feuilleton au coeur de la grève à Aulnay), c’est la surenchère sur fond de circulation circulaire de l’information.
Lundi dernier, à l’occasion de la réouverture de l’usine de Seine-Saint-Denis après une semaine d’un lock-out déguisé une pratique absolument illégale en droit français , les journalistes embarqués embedded, comme à la guerre, en somme, autorisés par la direction à pénétrer dans l’enceinte de l’établissement, ont fait chou blanc : ils n’ont pu qu’enregistrer la reprise d’une grève assez massive pour paralyser immédiatement la production, et cela sans le moindre débordement, malgré les multiples provocations patronales (déploiement de vigiles, de cadres et d’agents de maîtrise à l’extérieur et à l’intérieur du site, tentatives de remplacer les grévistes par des intérimaires, volonté de limiter drastiquement les déplacements dans l’usine, mises à pied conservatoires et convocation à la sûreté départementale de plusieurs grévistes, etc.).
Qu’à cela ne tienne ! Quelques témoignages anonymes offerts sur un plateau par la direction locale, immédiatement repris par les délégués des syndicats SIA (héritiers directs des jaunes de la CFT et de la CSL), FO et CGC, minoritaires chez les ouvriers et hostiles à la grève, et amplifiés ensuite par les patrons du constructeur, feront l’affaire : « peur », « stress incroyable », « menaces de mort », « courses-poursuites », derrière les non-grévistes « otages » du blocage, etc.
Certains journalistes décrivent une situation « explosive » en citant, sans rire, « l’entourage de la direction ». Vendredi matin, sur France Inter, Frédéric Saint-Geours, directeur des marques du groupe PSA mais aussi figure de proue de l’UIMM et du Medef, est complaisamment invité à abonder dans le sens d’un reportage passé plus tôt à l’antenne qui ne fait que reprendre les propos tenus au siège parisien du constructeur, et non à Aulnay, par des délégués syndicaux centraux défavorables au mouvement ; en revanche, personne ne demande, par exemple, au patron de PSA s’il bénéficie, une fois de plus, dans ce conflit, des largesses de la fameuse caisse antigrève de l’UIMM : en 2007, lors de la dernière grande grève à Aulnay, le groupe avait touché 550 000 euros
A Amiens comme à Aulnay, les salariés le rappellent : « On est des ouvriers, pas des casseurs ! Les casseurs, c’est les patrons » Mais même au plus haut niveau dans le camp syndical, tout le monde ne l’entend pas de cette oreille, visiblement. Surfant sur la désinformation ambiante,
Jean-Claude Mailly, secrétaire général de FO, réserve ses flèches aux grévistes d’Aulnay, les accusant d’avoir des comportements « pas conformes à ceux de la tradition de la classe ouvrière », et Laurent Berger, qui vient de prendre la tête de la CFDT, ouvre, lui, plus largement encore la boîte à gifles contre les syndicats CGT de PSA et de Goodyear. « Ce sont des méthodes que je ne partage pas ! » lance-t-il, drapé dans sa dignité, à propos d’Aulnay.
Et pour ce qui est de Goodyear, le secrétaire national de la CFDT considère que « la direction et l’organisation syndicale majoritaire portent une responsabilité à parts égales dans ce qui se passe » : « On voit bien que, quand il y a des dogmes, et pas de volonté de sauver l’emploi, on va dans le mur », insistet- il.
En fait, sur le front des licenciements, au moment où l’Assemblée s’apprête à examiner l’accord sur la flexibilisation de l’emploi que la CFDT et le Medef notamment viennent de ratifier, Laurent Berger reproche aux salariés en lutte de ne pas gober les accords compétitivitéemploi, chez Goodyear, hier, comme chez Renault, aujourd’hui, et PSA, demain.
C’est aussi à ce chantage à l’emploi qui, faute d’intervention parlementaire de la gauche, pourrait être généralisé demain dans la loi, que résistent aujourd’hui les grévistes de PSA Aulnay et les ouvriers de Goodyear Et c’est sans doute ce qui rend leurs luttes encore plus insupportables aux yeux de certains ! ■
lundi 4 février 2013 par Thomas Lemahieu et Cécile Rousseau, L’Humanité quotidienne
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