Jusqu’à quand ?
20/09/2008
Par Gérard Mordillat, écrivain
Antonin Artaud disait à Jacques Prevel, le jeune poète qui l’accompagna durant les derniers mois de sa vie, « vous n’êtes pas assez révolté, Monsieur Prevel ! ». Chaque jour cette injonction résonne en moi un peu plus fort. Je ne suis pas assez révolté, nous ne sommes pas assez révoltés !
Les raisons de le faire seraient pourtant interminables : remise en cause des régimes spéciaux de retraite, particulièrement ceux des agents de la SNCF (sans que soient touchés ceux des députés, sénateurs, ministres, et autres hauts fonctionnaires), démantèlement du Code du travail sur fond d’étranglement des prud’hommes et d’éradication des 35 heures, baisse générale des salaires sauf pour les plus hauts toujours plus hauts, multiplication des taxes et impôts indirects mais « bouclier fiscal » pour les grandes fortunes, déni démocratique absolu par la ratification du « traité de Lisbonne » alors que son jumeau avait été majoritairement refusé par référendum, équarrissage salarial chez Renault et tant d’autres entreprises au nom de la seule logique financière, ruine programmée de l’industrie aéronautique française avec disparition à terme de l’activité industrielle d’EADS, privatisation des universités, de l’école publique au profit des écoles privées, voire des écoles privées confessionnelles, atteintes répétées au principe de laïcité de la République, bondieuserie médiatique et cléricalisme d’État, privatisation du système de santé dont les plus pauvres seront exclus, casse systématique des services publics (dont celui de l’audiovisuel), etc. etc. etc., avec le dernier en date le projet de privatisation de La Poste… Privatisation qui a déjà commencé sur le terrain puisque dans de plus en plus de communes en France le bureau de poste est supprimé et remplacé par un « point poste » ouvert dans le supermarché !
Dans le Capital, Marx parle du peuple « abasourdi » par les lois et mesures du gouvernement anglais en faveur des grands propriétaires donnant un statut légal à ce qui n’était autre qu’une forme d’esclavage… Sommes-nous aussi abasourdis par celles prises par l’actuel gouvernement au nom d’une idéologie facho-libérale, basée sur une répression chaque jour plus active contre les salariés, les chômeurs, les sans-papiers, les sans-logement, les sans-droits, les malades, les étrangers, tous ceux dont les moyens d’expression et les droits sont amputés, atrophiés, arrachés tandis qu’à l’inverse les plus riches, les spéculateurs, les affairistes, les néolibéraux, les capitalistes, puisqu’il faut bien les nommer par leur nom, prospèrent, obtiennent toujours plus et plus d’avantages, de revenus, de dividendes, de libéralités, s’affranchissant de la morale et de la loi au nom de la modernité pensée par eux et pour eux. La répugnante distinction de Raffarin entre « la France d’en haut » et « la France d’en bas » devient une évidence sociologique qu’illustrerait à merveille la gravure de Breughel « le Combat des gros contre les maigres.
Dès lors, pour moi, la seule question qui vaille est « jusqu’à quand ? ».
Jusqu’à quand allons-nous accepter cette morgue, ce cynisme, cette volonté destructrice de tout ce qui appartient au bien commun ? Jusqu’à quand allons-nous nous laisser battre sans autre réaction que les luttes qui se mènent sur le plan local ? Jusqu’à quand ? Avec son corollaire : quelle sera l’étincelle ? Le signal que tout le monde semble attendre et que personne ne paraît prêt à donner, ni les syndicats, ni les partis d’opposition… Peut-être est-il temps de leur remettre en mémoire, et pas seulement à eux, l’article 35 de la déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793 : « Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est pour le peuple et pour chaque portion du peuple le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs ».
Le niveau cruellement bas de la majorité des salaires, la précarité généralisée, la peur érigée en mode de gouvernement de plus en plus d’entreprises, autant de raisons d’exercer ce droit sacré et cet indispensable devoir, de dire non, de dire stop, d’organiser le grand refus sous quelque forme que ce soit. La privatisation de La Poste sera-t-elle la fameuse goutte d’eau qui fera déborder le vase ?
(1) Dernier livre : Notre part des ténèbres, Calmann Lévy (2008).
Article publié par l'Humanité
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