Léon Deffontaines : « Mon adversaire, c’est Jordan Bardella » (31/05/2024)
Le candidat des communistes pour le 9 juin, Léon Deffontaines, a réalisé une percée médiatique en mettant le RN face à la réalité de ses votes contre l’intérêt général. Il entend déjouer les pronostics le jour du scrutin et appelle la gauche à se rassembler sur la question sociale, en plus de défendre une « écologie populaire et rationnelle ».
Quel est votre principal adversaire pour ces européennes ?
C’est Jordan Bardella. Nous avons tous les deux 28 ans, et le duel pourrait s’installer dans la durée. Je veux montrer ses contradictions. Chaque fois qu’il peut défendre les travailleurs français, le RN vote contre leurs intérêts.
L’extrême droite a refusé l’indexation des salaires sur l’inflation, le rétablissement de l’ISF, et ce parti qui se dit défenseur de la ruralité s’oppose aux lois contre les déserts médicaux. Déconstruire le mythe du RN, défenseur des travailleurs français, est l’un des enjeux de cette campagne.
« À gauche, nous devons refaire de la question sociale notre priorité. »
Que répondez-vous à ceux disent qu’on n’a jamais essayé le RN ?
Que l’on est en réalité en train de l’essayer sur le plan économique et social. À l’Assemblée, la coalition gouvernementale et le RN votent systématiquement contre toute avancée pour les travailleurs. Leur projet est identique en la matière. Et le RN au Parlement européen vote majoritairement pour les traités de libre-échange.
Il faut bien sûr attaquer ce parti sur le caractère xénophobe, fasciste même, de son programme. Mais on s’évertue à le faire depuis quarante ans, et ce n’est pas suffisant. Le RN se dédiabolise sur la question sociale, et c’est sur cette supercherie qu’il faut l’attaquer.
Comment expliquer son niveau dans les sondages ?
L’extrême droite est épargnée. Le débat sur LCI (le 21 mai – NDLR) a été symptomatique. Les autres candidats avaient l’air tétanisés par Bardella. Personne n’osait l’attaquer. Il ne faut pas le laisser dérouler ses mensonges. Allons à l’affrontement ! D’autre part, nous n’avons pas été à la hauteur à gauche. Nous nous écharpons sur des questions de société et des sujets internationaux qui devraient nous rassembler. Nous devons refaire de la question sociale notre priorité.
Bardella n’avait rien d’autre à vous répondre que « vous êtes communiste », lorsque vous l’avez attaqué dans ce débat. Est-ce un problème d’être communiste ?
Quand on l’attrape sur le fond, Bardella est incapable de répondre. Il me renvoie donc à mon communisme comme s’il s’agissait d’une insulte. C’est révélateur de son absence de projet social. Mais si on veut nous renvoyer au passé, je suis fier d’être membre du parti de Missak Manouchian, panthéonisé cette année. L’histoire de mon parti, c’est la Résistance, le CNR, la Sécurité sociale.
L’héritage du RN, cofondé par un Waffen-SS, c’est la collaboration et Vichy. Le communisme aujourd’hui est synonyme d’espoir, de rupture avec une société capitaliste incapable de répondre à l’impératif environnemental et à nos aspirations à vivre mieux. Il s’agit d’aider chaque individu à s’épanouir pleinement, quelle que soit son origine sociale ou géographique. C’est le projet que je porte.
« Lorsque la gauche est capable de rassembler sur la question sociale, elle peut battre les lepénistes. »
Vous étiez en meeting à Avion (Pas-de-Calais), il y a une semaine, seule circonscription perdue par le RN aux législatives 2022, au profit du PCF…
Nous sommes la seule force politique qui a fait reculer l’extrême droite. Dans le Pas-de-Calais, nous avons aussi fait perdre trois cantons au RN. Lorsque la gauche est capable de rassembler sur la question sociale, elle peut battre les lepénistes. C’est mon ambition pour les européennes et au-delà.
Qu’avez-vous appris dans cette campagne au cours de laquelle vous avez sillonné toute la France ?
J’en retiens la beauté des paysages et la richesse de la population. Une campagne, c’est l’occasion de parler, de reconstruire du lien social. Depuis quinze ans, la gauche est captive de deux offres politiques : l’une outrancière et polémiste, l’autre libérale. C’est ce qui l’empêche d’aller à la reconquête de l’électorat populaire et de progresser.
On nous renvoie toujours à François Hollande et à Jean-Luc Mélenchon, sur les marchés. Ce sont les deux cailloux dans nos chaussures. Nous devons écrire une nouvelle page. C’est avec une gauche du travail rassemblée que l’on retrouvera un électorat populaire et que nous redeviendrons majoritaires dans le pays.
Vous avez 23 syndicalistes sur votre liste, un record. En quoi est-ce une force ?
C’est une chose de défendre le monde du travail. C’en est une autre de faire élire au Parlement celles et ceux qui en sont les premiers représentants. Sigrid Gérardin et Fabien Gâche, en 2e et 7e position sur ma liste, incarnent au quotidien ceux qui luttent contre les effets dévastateurs des politiques européennes libérales. Les élire, c’est les faire entrer dans l’institution probablement la plus antisociale de notre système politique. Ils peuvent y être le fer de lance de la lutte contre la destruction des droits sociaux.
Dans vos meetings, on vous entend dire : « Cette Europe, qu’elle crève ! » N’est-ce pas contradictoire ?
Les institutions européennes se sont construites avec le dogme néolibéral. Elles sont une machine à broyer l’avenir des jeunes, à détruire l’emploi. Si nous y envoyons des députés européens, ils seront un appui pour résister à la marche forcée du néolibéralisme. Je ne crois pas que l’UE sera, demain, un levier pour l’émancipation des peuples, parce qu’elle sera dominée par la droite et l’extrême droite. Mais, y envoyer des représentants du peuple sera un moyen de mener la résistance dans les travées du Parlement.
Vous êtes donné entre 2 et 3 % des intentions de vote dans les sondages. Que comptez-vous faire pour y remédier dans la dernière ligne droite ?
Il fallait que nous tracions notre sillon dans cette campagne, peu importent les sondages. Lors de la campagne de 2019, ils se sont lamentablement plantés. J’ai donc peu confiance dans ces enquêtes. Les Français font leur choix au dernier moment, et c’est encore plus vrai dans une européenne. Le niveau de participation peut tout changer.
70 % des 18 à 29 ans prévoient de ne pas aller voter le 9 juin. Que leur dites-vous ?
J’observe le décalage entre ce que nous vivons, nous, les jeunes, et les discours sur l’Europe. L’exemple le plus édifiant, c’est Erasmus, que l’on nous vante comme merveilleux. Mais seulement 5 % d’une classe d’âge participent à ce programme. C’est quoi, l’Europe, pour les 95 % restants ? C’est l’impasse écologique à laquelle l’UE est incapable de répondre en nous enfermant dans les énergies fossiles.
C’est la baisse du pouvoir d’achat, avec des jeunes particulièrement touchés, qui se tournent vers l’aide alimentaire. Que fait l’UE ? Les contrats précaires, la mise en concurrence des travailleurs, la difficulté à faire des études… Culpabiliser les jeunes pour les envoyer voter revient à les mépriser. Ce ne sont pas les jeunes qui se désintéressent de l’Europe, mais l’UE et les candidats qui se détournent d’eux. Moi, je veux parler de leur réalité, de leur quotidien.
L’écologie est la grande absente de cette campagne. Que défendez-vous ?
Je souhaite faire de ce combat une priorité, pour une écologie populaire et rationnelle. Il faut traiter le problème du réchauffement climatique sans dogmatisme. Si on veut atteindre la neutralité carbone en 2050, donc diminuer les émissions de gaz à effet de serre, il faut prioriser le fret ferroviaire et les transports en commun. Il faut aussi développer le mix énergétique entre nucléaire et renouvelable. C’est la seule façon de produire suffisamment d’électricité pour mener la transition écologique et industrielle. C’est ce discours raisonné, raisonnable, qu’il faut tenir.
« Notre projet politique repose autour des trois P : protection, production, planification. »
Pourquoi défendez-vous l’organisation de référendums avant toute nouvelle adhésion à l’UE ?
L’élargissement sans condition, ni harmonisation fiscale et sociale s’est traduit par un accroissement de la mise en concurrence des travailleurs au sein de l’UE. De nombreuses usines ont été délocalisées à l’est parce que la main-d’œuvre y est moins chère. Les Français doivent être consultés parce que les conséquences sont très concrètes sur leur vie.
Élargir l’UE à des pays où le salaire minimum est inférieur à 200 euros par mois entraînera encore plus de délocalisations et un nivellement par le bas des salaires et des conditions de travail. L’agriculture subirait la même concurrence déloyale. Il ne s’agit pas de refuser la solidarité, il s’agit même d’aider ces pays à se développer. Mais un élargissement dans l’état actuel, c’est non.
Les délocalisations se font à l’intérieur de l’UE, mais aussi vers des pays du monde entier…
Parce que l’Europe est incapable de se défendre. Il faut remettre en place des mesures protectionnistes. Notre projet politique repose autour des trois P : protection, production, planification. Il faut en finir avec les traités de libre-échange qui saturent le marché européen de produits fabriqués dans des conditions sociales et environnementales non conformes à nos réglementations. Nous devons contrôler nos ports et docks, instaurer des taxes douanières plus conséquentes et permettre à nos marchés publics de privilégier nos usines françaises.
Nous voulons créer des filières industrielles stratégiques pour permettre à la France de retrouver sa souveraineté dans les secteurs où elle l’a perdue. Enfin, si l’on veut réindustrialiser et répondre aux impératifs environnementaux, il faut créer de nouveaux droits pour les travailleurs. Ils sont bien souvent la clé pour la reconversion de leur entreprise. Leurs choix stratégiques sont toujours plus intéressants et plus vertueux que ceux des actionnaires.
Vous défendez un espace européen de coopération. Êtes-vous pour une UE qui accueille ou qui refoule ?
On peut à la fois plus accueillir et mieux accueillir. La politique migratoire de la France et de l’UE ne peut se contenter de délivrer ou non des titres de séjour. Elle doit permettre à chacun d’être intégré pleinement dans la société. Ceux qui travaillent et tiennent nos services publics à bout de bras doivent bénéficier des mêmes droits que les autres, ce qui passe par la régularisation des travailleurs sans papiers.
J’insiste également sur la coopération. Les gens n’émigrent pas de gaîté de cœur, mais pour fuir le sous-développement. Nous devons changer notre rapport avec l’espace méditerranéen et l’Afrique subsaharienne, et multiplier les aides au développement. On ne peut pas reprocher aux gens de fuir la guerre, la misère ou la galère, quand le taux d’électrification du Niger, par exemple, avoisine les 17 %… Nos relations actuelles sont très ascendantes, avec la France qui dicte et qui pille les richesses.
12:31 | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : léon deffontaines, élections européeenes | | Imprimer | del.icio.us | | Digg | Facebook | |