20001 numéros… et beaucoup plus ! (03/02/2009)
Samedi 17 janvier, il y a deux ou trois semaines, parmi des milliers de manifestants, des centaines et des centaines de personnes brandissent ou arborent la une de l’Humanité pour la paix en Palestine, l’arrêt des bombardements à Gaza. Hommes et femmes, celles-ci venues avec leurs enfants, poussant des landaus. Des centaines d’hommes et de femmes, d’ados qui découvrent qu’un journal peut être avec eux, méprisés et humiliés éprouvant dans la chair et l’âme la souffrance d’un peuple, et qui font, de la une de ce journal, l’expression de leur douleur et de leur combat. Dans l’immense manif de 2002 entre les deux tours de la présidentielle, Le Pen et Chirac restés seuls en course, la une de l’Huma, « Il faut lui barrer la route » était partout, comme elle l’avait été au moment du déclenchement de la guerre du Golfe : le photo-montage d’une gamine avec sur la tempe comme une arme, un pistolet de pompe à essence. Des unes, seulement, éditées en affichettes. Peut-être des lecteurs en plus parfois et peut-être que non. Mais une certitude, en tout cas, l’Huma, ces jours-là, était là.
L’Huma. Nos culottes courtes dans ces années, quand la France roulait en Dauphine si elle pouvait se payer une voiture, ou même en DS 19, nous faisaient ressembler à des gamins de Doisneau. On se souvient de cette photo dont il est l’auteur où un gosse d’une dizaine d’années tient l’Huma en main, en revenant de faire les courses sans doute. Eh bien c’était un peu comme cela à Cherbourg en ces temps où la radio annonçait que l’armée française, en Algérie, pacifiait les campagnes et portait des sacs de blé aux populations. Ce n’était pas encore le temps des cercueils mais c’était une chance, au fond, d’avoir des parents communistes. Du moins si l’on voulait savoir ce qui se passait vraiment. Et puis il y avait eu cette première vraie rencontre avec l’Huma un jour, en revenant de l’école. La une du journal pris en passant au bureau de tabac portait des rectangles blancs en place de plusieurs articles, et c’était juste écrit : « Censuré ». Quel jour était-ce ? Difficile maintenant de le savoir. Combien de fois le journal fut-il censuré en ces années de guerre, qui ne voulait pas dire son nom, mais que, lui, nommait ? Combien de fois totalement saisi ? Ainsi le 25 septembre 1956. Cette fois il ne parle même pas de la « pacification » à la mitraillette, de la torture comme il le fera souvent. Non, c’est simplement un éditorial qui est en cause, signé Léon Feix, demandant l’ouverture de négociations avec les représentants du peuple algérien. Mais cela, c’est déjà trop. Il n’y a pas, il ne peut pas y avoir pour le pays colonisateur de représentants du peuple algérien. Il faudra encore six ans et combien de morts, de disparus, de torturés et de corvées de bois, de noyés dans la Seine au soir du 17 octobre 1961, de morts à Charonne, pour conclure les accords d’Évian, avec les représentants du peuple algérien ?
Ouvrir l’Humanité des années cinquante, c’est aussi voyager dans le temps. Le temps retrouvé.
Kubler sera l’homme à battre dans la montagne. Robic et Bobet sont les seuls qui puissent lui ravir la vedette. À moins que ce ne soit « l’ouvrier » Roger Walkowiak. La chronique « Une femme dans le Tour », le Tour de France bien sûr, mais on dit « le Tour », comme à l’époque on dit « le Parti », est signée Hélène Parmelin. C’est la compagne du peintre Édouard Pignon et tous deux sont des amis intimes de Pablo Picasso. Le journal publie une bande dessinée, les Trois Amours de Jean Cavalier, qui évoque la répression des protestants par les dragons au XVIIe siècle. Il publie aussi un roman américain qui s’appelle le Courant souterrain. Il met en scène des ouvriers. « Quand j’étais dans l’équipe de jour, dit l’un d’eux, je faisais mon travail du Parti. » Bien sûr. En 1950, la communiste américaine Bernadette Doyel n’a-t-elle pas obtenu 600 000 voix en Californie, ce que l’Huma salue comme une grande victoire vers le socialisme. Il y a des communistes partout dans le monde où rayonne pour tous les peuples l’exemple de l’URSS. On le croit. Le PCF est le premier parti de France. L’Humanité est son journal qu’on vend au matin d’un dimanche quand on colle des affiches aux murs du lendemain.
Puis le temps est venu des amours, des pantalons à pattes d’éléphant et des chemises à fleurs. Se souviennent-ils, ceux qui ne se réclament de Mai 68, que pour justifier leurs soumissions politiques d’aujourd’hui, du rôle de l’Humanité dans ce qui fut, bien au-delà des jets de pavés du Quartier latin, la plus grande grève de l’histoire. De l’appel à la grève générale aux constats de Grenelle avec, chaque jour, les listes qui ne faisaient que s’allonger des usines occupées, puis par la suite des acquis obtenus, branche par branche, quand un jeune ouvrier, payé 300 francs par mois, tout d’un coup, en gagnait 600 après trois semaines de grève, quand était enfin reconnue la section syndicale d’entreprise. La télé, la radio, la plupart des journaux ne voyaient que pavés et lacrymogènes. Il fallait bien lire l’Huma si l’on voulait savoir ce qui se passait.
Il y eut de grandes choses, mais il y en eut aussi de terribles, écrivait Aragon dans la Nuit de Moscou. Car on ne sut pas toujours ce qui se passait, ce que la fidélité même du journal à ses combats l’empêchait de voir. L’Huma attaquée en 1956, lors de l’insurrection de Budapest par des émeutiers qui veulent incendier le journal, se défend avec panache. Mais pendant des semaines le journal se trompe ou s’aveugle sur la nature de ce qui se passe en Hongrie. Ce n’est pas une tentative de coup d’État fasciste mais une insurrection antistalinienne. En 1975, les Khmers rouges vident Phnom Penh en prélude à de terribles massacres. L’Huma rejette l’hypothèse d’un bain de sang. Le journal ne retient que l’agression américaine au Vietnam et au Cambodge… L’Histoire du XXe siècle ne fut pas un dîner de gala et l’Humanité n’a pas échappé à ses enfers. Le XXIe siècle s’annonce-t-il mieux ?
Mais voilà 20 000 numéros… 20 001 exactement ! Avec chaque jour, oui, c’est un peu ça, la poursuite des combats de la veille et de nouveaux combats. Vietnam, Mandela, Cuba, Palestine. Antiracisme, soutien aux sans-papiers, lutte contre toutes les discriminations. Chaque jour la mise en cause de l’exploitation, aux côtés des salariés. Automobile, sidérurgie, petites entreprises, plus près de nous le CPE. Tant et tant de sujets de révolte, de colère, d’insurrection et puis, depuis des années, tant de sujets de débats, de confrontations, d’échanges d’opinions… Tant de clés aussi dans l’actualité de la crise, aujourd’hui, du capitalisme. Il y a deux semaines, le journal donnait la parole, à égalité, à tous les leaders de la gauche. La semaine passée, la parole à tous les leaders syndicaux.
Quel autre, aujourd’hui, veut construire, dans le rassemblement de toutes les forces de progrès et le respect des différences, une alternative non seulement au sarkozysme, mais au capitalisme ? Quel autre, - à quel prix !… -, est toujours, comme l’avait voulu Jaurès, indépendant des puissances d’argent, et cela uniquement par la fidélité et le soutien de ses lecteurs ? Anciens, actifs, militants politiques et syndicalistes, altermondialistes, c’est à tous ceux-là que le journal d’aujourd’hui s’adresse en se tournant résolument en même temps vers les jeunes lecteurs. Ils étaient tout un groupe l’autre jour au journal. Le hasard a fait qu’ils découvrent, dans une salle de réunion, les pages ouvertes de ces journaux de la guerre d’Algérie et que revienne alors l’histoire, cette histoire. Les gamins d’aujourd’hui ne portent plus de culottes courtes, mais l’Humanité reste à écrire et à inventer.
Maurice Ulrich, l'Humanité
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