Au-delà des étoiles
16/07/2018
Lundi, 16 Juillet, Laurent Mouloud, l'Humanité
Beaucoup diront que cette magnifique victoire, passé les effusions de joie, n’offrira rien d’autre qu’un sentiment de fierté bon enfant et des envies de fraternité éphémères. Ce n’est pas faux. Mais, face à l’engouement de tout un peuple, on se prend aussi à espérer.
Dans Un singe en hiver, Jean Gabin avait l’habitude de laisser voguer son imagination embrumée par l’alcool sur les rives du Yangsi Jiang. À l’image de cette délicieuse obsession, toute une génération de Français, soyons-en sûrs, laisseront souvent planer leurs songes le long de la Moskova, à deux pas du stade Loujniki, où les Bleus, d’une superbe victoire face aux Croates, ont décroché dimanche 15 juillet la deuxième Coupe du monde de leur histoire. Pogba, Mbappé, Griezmann… désormais, ces noms sont inscrits au panthéon du sport et fêtés aux quatre coins d’une France chavirée de bonheur.
Beaucoup diront que cette magnifique victoire, passé les effusions de joie, n’offrira rien d’autre qu’un sentiment de fierté bon enfant et des envies de fraternité éphémères. Ce n’est pas faux. Mais, face à l’engouement de tout un peuple, on se prend aussi à espérer. Certes, les illusions de 1998 et son « black, blanc, beur » sans lendemain ont montré que la parenthèse ludique d’un Mondial ne réduit pas, à elle seule, les fractures d’une société minée par les inégalités. Mais cela ne veut pas dire, non plus, qu’on doit se condamner au cynisme impuissant.
Le fabuleux destin de cette équipe, où brillent l’esprit collectif et une multitude de gamins nés dans les banlieues populaires, restera comme un savoureux pied de nez à l’air du temps. À l’heure où les discours xénophobes fleurissent, ce sont des enfants d’immigrés qui portent haut les couleurs du pays. À l’heure où certains font l’éloge des premiers de cordée, c’est bien la solidarité du groupe qui a gagné. À l’heure où le gouvernement enterre un ambitieux « plan banlieues » et néglige le sport amateur, c’est bien de ces territoires méprisés qu’ont surgi les héros en short d’aujourd’hui.
Reçus à l’Élysée cet après-midi par Emmanuel Macron, les joueurs ne porteront pas qu’une Coupe du monde à la main et une seconde étoile sur le maillot bleu. Mais symboliseront aussi, et ce n’est pas la moindre de leur victoire, cette exigence posée au pouvoir politique de faire vivre l’épopée de 2018 au-delà des terrains de football.
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