Questions à Sophia Hocini, militante engagée…
20/06/2016
Pouvez-vous nous raconter votre parcours?
Sophia Hocini: Je suis née en Kabylie et nous avons fui le terrorisme algérien au début des années 2000 juste après le Printemps Berbère, j’ai étudié en CPGE-ENS puis diplômée en Lettres Modernes. J’ai écrit un livre après les présidentielles pour parler « Identité-s » et difficultés que rencontrent les immigrés intitulé « Une Française de Fabrication ». Je me suis engagée très tôt dans la vie politique et associative à 17 ans au parti communiste français et 19 ans dans le monde associatif, plus précisément celui de l’éducation populaire aux côtés de l’AFEV (le plus grand réseau de mobilisation étudiante en France) et de la ZEP, un média associatif et participatif pour les jeunes et par les jeunes.
Vous avez été témoin des bagarres entre hooligans anglais et russes. Que cela vous-a-t-il inspiré?
S.H: Cela m’a inspiré deux choses : la première est que l’industrie du foot contribue à abrutir les masses et à cristalliser une violence déjà beaucoup trop prégnante dans notre société. Depuis quelques temps, notamment avec la crise des réfugiés, tous les regards sont tournés vers des pays en crise et en guerre avec une peur unanime « d’une grande invasion »; pourtant le fait est que cette crainte n’est en réalité pas justifiée et que le problème est peut être plus profond parce que l’on peut voir que le rejet de l’autre est une réalité même sur le territoire européen à échelle étendue et qu’il n s’agit pas que d’un problème de bagarres entre hooligans.
Aussi, j’ai donc été très stupéfaite du climat tendue et haineux qu’il y avait samedi à Marseille, alors que tout le monde vendait cet événement comme un moment exceptionnel, tant en terme d’union que de manne financière. Le fait est que, pour finir sur l’industrie du foot, j’étais tout de peine assez peinée de voir tant d’engouement pour ce genre de manifestations alors que pour d’autres causes plus importantes et nécessaires pour faire société, pour vivre et faire ensemble il est déjà plus compliqué de fédérer : par ailleurs, tout cet argent dépensé par les supporters, vendu comme une manne financière pour tous les commerçants, est à considérer pour moi comme de l’argent sale car il alimente des réseaux mafieux. Combien d’affaires de blanchiment d’argent, d’exploitation de prostituées avons nous pu voir ? Enfin, tout le matériel de communication et les goodies en tous genre sont fabriqués dans des conditions plus que discutables, notamment concernant ce qui est rétrocédé aux ouvriers.
La seconde chose qui pour moi a été particulièrement choquant est la mise en danger d’autrui. En effet, tout le monde était au courant de l’importance et des risques de cette manifestation et j’étais assez surprise de voir ces centaines de hooligans, se battre à coup de bouteilles de bière parmi des familles qui ont l’habitude de flâner au abords du Vieux Port. vraisemblablement, les forces déployés ce jour là par la Préfecture n’étaient pas du tout proportionnelles au danger qu’il y avait ce jour là, et c’est là que le bât blesse.
N’avez-vous pas peur d’amalgamer un sport collectif à ses dérives liées à tout l’événementiel fait autour?
S.H: Je maintiens que ce sport collectif est une industrie avant tout. dans mon quotidien déjà et pour des choses très basiques, j’essaie de contourner au mieux toutes les industries : celle de la viande et du lait en ayant un régime végétarien, voire végétalien, celle du textile en ne m’habillant que de manière responsable, en me procurant mes fruits et légumes en AMAP etc je ne veux donc pas faire de fleur à une industrie qui broie des millions pour rien et donc l’argent sert à financer le grand capital, l’exploitation et l’abrutissement des populations.
Vous avez fait un parallèle entre les bastons de hooligans et les heurts lors des manifestations récentes entre membres de la CGT et CRS…vous trouviez que ça valait une comparaison?
S.H: Ce n’est pas tant une comparaison sur les bastons qu’il y eu samedi et celles des manifestations, c’est plutôt le « deux poids deux mesures » qui me gênait. En effet, comme je l’ai dit le déploiement de CRS n’était pas proportionnel à l’événement samedi, et lors des manifestations c’est inversement non proportionnel. Pour prendre un exemple, un ami avec qui se suis allée à la manifestation du 1er mai – manifestations familiale et sereine – a connu pas mal de débordement alors que cela n’avait pas lieu d’être, l’ami avec qui je m’y suis rendu a été mis en GAV parce que des petits galets survivants de notre escapade à la plage étaient restés au fond de son sac. Je ne crois pas non plus avoir un comportement provocateur lors des manifestations parce que je ne veux pas décrédibiliser les causes que je soutiens, mais j’ai moi même pris du gaz lacrymogène et quelques coups de matraques lors des dernières manifestations contre la Loi EL Khomri et ce de manière complètement arbitraire. Le parallèle étaient simplement là.
Pour être honnête je vous ai découvert par votre publication sur la Rose Kabyle au lendemain du Hijab Day. C’est plutôt rare d’entendre à gauche une voix qui se montre critique sur une dérive communautaire, tandis qu’à droite on a au contraire une quantité non négligeable de dérapages verbaux?
S.H: Pour ce sujet il faut recontextualiser. Au lendemain du Hidjab day à Paris, des femmes ont organisé une journée de la Robe Kabyle en Algérie, pays où la laïcité en prend tous les jours pour son grade depuis l’Indépendance. Algérienne d’origine, je connais le prix et l’importance de la laïcité ayant grandi avec la menace du FIS et du GIA. la question de la laïcité en France est bien évidemment importante mais représente pour moi un faux problème dans la mesure où elle prend une double définition qui arrange les uns ou les autres alors qu’il n’y en a qu’une.
La définition institutionnelle repose sur trois principes : la liberté de conscience, la liberté de culte, la séparation de l’autorité religieuse de l’Etat ainsi que l’assurance de l’égalité devant la loi quelques soient ses croyances. Je pense que la définition est claire et qu’elle ne nécessite pas de tergiverser davantage : la loi garantit les droits et libertés de chacun, s’il faut punir les actes islamophobes et antisémites, il n’était à mon sens pas opportun d’exciter davantage un débat où il n’y a pas vraiment d’injustice. Etudiante, beaucoup de mes amies portaient le voile, je n’ai jamais vu personne le leur interdire.
Enfin, concernant le post à proprement parler, je voulais juste souligner que le combat féministe est pluriel, si en France pour quelques uns il s’agit de se battre pour la liberté de se couvrir, pour d’autres c’est une question de combattre pour la liberté de croire ou de ne pas croire, de se vêtir comme on le souhaite. dérives communautaires et laïcité sont étroitement liés, et dans la thèse communiste notamment, nous ne faisons pas de deux poids deux mesures, nous sommes laïques mais nous affirmons que « la religion est l’opium du peuple », ne pas le comprendre comme prôner un athéisme mais simplement que le fait religieux divise, alors que la division est justement le contraire de la pensée communiste, et que nous devrions nous unir sur d’autre valeurs que celle de Dieu.
Faîtes-vous partie du mouvement Nuit Debout, et si oui quel est votre ressenti sur l’évolution de ce mouvement?
S.H: J’ai participé à quelques rassemblement Nuit Debout mais n’en fait pas vraiement partie par manque de temps. Son évolution est pour moi très positive car il crée les espaces de débats auxquels nous n’avions pas accès. C’est un formidable élan populaire qui s’empare du droit entériné par la constitution qui est celui de la liberté de réunion.
Comment se présente actuellement la politique dans le microcosme marseillais?
S.H: Les inégalités et la misère ne cessent de s’aggraver et de se creuser et nos politiques établis depuis deux décennies ne font pas face à cette urgence. Ceux à qui cela profitent continuent de militer pour le parti au pouvoir sur notre territoire, alors que le parti majoritaire est celui de l’abstention. L’abstention parce que l’on marche sur la tête, que le pouvoir profite toujours aux mêmes; malgré les synergies qui se créent petit à petit par les forces de la gauche et celle du monde associatif.
La lutte continue sur le terrain, au coeur de nos quartiers avec les personnes ressources de mon parti et de mes partenaires associatifs et c’est de toute évidence le combat le plus juste et le plus important. les querelles politico-politiciennes ne servent qu’à occulter les vrais problèmes et servent à ne pas dépenser son énergie pour le développement local et humain.
En quoi consiste votre site La Robe Rouge?
S.H: La Robe Rouge est un blog que j’ai créé lorsque j’étais au lycée, passionnée d’écriture, j’avais besoin d’avoir mon espace pour analyser et décrypter l’actualité et donner mon avis.
Vous croyez vraiment à la résurgence du Parti Communiste?
S.H: Je ne crois pas à la résurgence du Parti Communiste simplement parce que le Parti Communiste n’est pas mort. En revanche, tous les jours nous travaillons à mettre à jour nos idées et nos positionnements en fonction de l’évolution de la société. Aussi, depuis quelques années nous avons à coeur d’apporter une vraie solution aux problèmes environnementaux, pour ne prendre que cet exemple. Le PCF est un parti qui organise de grandes consultations citoyennes pour réfléchir aux besoins des citoyens et aux urgences sociales.
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