La muselière cassera !
18/05/2016
Qu’une loi ne puisse être imposée que par un coup de force contre le Parlement et une majorité de citoyens en dit long sur ses buts, sur sa violence contre le droit du travail hérité des luttes ouvrières, avec l’appui et la délibération de la gauche dans sa diversité.
Ce coup de force ne vise qu’à répondre docilement aux injonctions des institutions internationales, du pouvoir européen soumis aux désirs des multinationales. Déployer ainsi le bulldozer antisocial contre les digues de défense des travailleurs, d’abord des plus faibles face au propriétaire, à l’actionnaire et aux spéculateurs, constitue un pas supplémentaire du premier ministre dans la rupture avec l’héritage et les valeurs de la gauche.
Couvert par le Président de la République, il se place délibérément de l’autre côté de la barrière de la lutte des classes, celui du grand patronat, non pas pour rechercher l’efficacité économique mais pour souffler sur le feu de la guerre économique dans laquelle les salariés et les créateurs ne sont considérés que comme des fantassins. Il convient de bien mesurer l’ampleur de la fracture de plus en plus béante ainsi créée avec l’imposition sur les cendres fumantes de la déchéance de la nationalité, d’une loi archi minoritaire dans le pays, pour broyer le droit national du travail.
Le coup est tel que ce texte comptant cinquante-quatre alinéas n’a même pas passé le cap du vote de son premier article. Ce pouvoir exécutif qui empêche ainsi la délibération publique, viole le pouvoir législatif, franchit un cran supplémentaire dans l’autoritarisme. Du même coup il ôte toute légitimité démocratique à cette loi. La mobilisation populaire entamée dans une diversité de formes doit donc s’amplifier encore pour réclamer le retrait et un débat public associant les syndicats de salariés et de jeunesse, les forces politiques, des juristes pour élaborer un droit du travail protecteur adapté aux conditions d’aujourd’hui.
La lutte est rude car la coalition des forces ultralibérales et celle de l’argent sont à la manœuvre. Le premier ministre a choisi d’être de leur côté quitte à provoquer une crise dans son groupe parlementaire et dans son parti. Peu lui importe puisque ce dernier ne lui convient plus. Il a le projet de faire table rase de la gauche elle-même. La thèse de deux gauches irréconciliables ne sert qu’à masquer le changement de nature qu’il appelle de ses vœux. Et le lancement de M. Macron comme on le fait d’un produit n’a pas d’autre objectif que de déplacer tout le débat et l’action politique sur des thèses de droite.
Pour y parvenir, le pouvoir martèle qu’il « faut mieux s’expliquer » considérant les citoyens comme des « attardés » ou des « indisciplinés ». Sans doute espère-t-il que le délire des propositions des candidats de la droite et la légitime peur de l’extrême-droite seront de nature à faire tolérer le moins pire. Toutes les dernières élections ont largement démontré que c’était l’exact contraire qui se produisait, avec une droite qui gagne et son extrême qui monte. Ajoutons que la classe dominante cherche le bon cheval bonapartiste, porteur d’ordre, capable de résister à la colère populaire qui taraude les profondeurs du pays, et qui puisse empêcher que ne se déclenche un mouvement populaire, ample, irrésistible, ouvert et conscient capable de réinventer une espérance sociale, démocratique et écologique.
Le surgissement des mouvements en cours, dans lequel la question démocratique vient sur le devant de la scène, est l’une des clés pouvant ouvrir la voie à la libération de la parole, à l’écoute mutuelle, à l’élaboration collective, à un travail commun de forces progressistes, sociales et syndicales, de mouvements d’émancipation et d’éducation populaire, de chercheurs et de militants, de personnalités de la gauche et de l’écologie politique pour des réflexions et des travaux communs , des confrontations d’expériences et d’innovations.
Le défi démocratique devient un enjeu central autour duquel pourrait se construire une nouvelle ère politique. Elle appelle à une réappropriation politique, un contrôle étroit des pouvoirs délégués, une refonte des pratiques électorales de manière à donner au mandat représentatif toute sa puissance, à remettre la vertu au cœur de l’action démocratique. Il s’agit d’un travail colossal à engager alors que les institutions de la cinquième République sont tombées dans l’obsolescence.
L’inventivité, la créativité sont requises pour revivifier la démocratie, redonner confiance dans l’engagement, l’action politique et son pouvoir transformateur. Sans cette confiance restaurée, en marchant ensemble et unis, il serait vain d’espérer rassembler les victimes d’une politique qui tourne le dos aux espoirs qui, au départ, avaient été placés en elle. Regagner la part de souveraineté volée commande, après cette semaine d’actions, à amplifier encore la mobilisation pour obtenir le retrait de la loi de précarisation du travail. C’est un combat d’intérêt général. La victoire est possible ! Cela vaut le coup d’y mettre les moyens ! La muselière cassera !
Patrick Le Hyaric député au parlement européen, directeur de l'Humanité
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