Pierre Laurent « On ne peut pas sauver Hollande, mais il faut sauver la gauche »
27/04/2014
Les députés PS votent la confiance au gouvernement mais critiquent sa politique. Le fait qu’ils restent dans la majorité présidentielle est-il un obstacle à la construction d’une alternative à gauche ?
Le gouvernement prétend de son côté qu’il n’y a pas d’autres politiques possibles, sauf à mettre la France dans « la main des marchés » et à renoncer à sa souveraineté. Peut-on faire autrement ?
Pierre Laurent Oui, si on s’attaque aux énormes coûts du capital. C’est cela que les profiteurs des marchés financiers veulent empêcher. Si on continue à protéger les rentes des actionnaires, il n’y a aucun assainissement des finances publiques possible. Parce qu’une attaque aussi violente contre le pouvoir d’achat des couches populaires et de la majorité des salariés accompagnée de coupes brutales dans l’investissement public ne peut que conduire à une augmentation du chômage et au repli de l’activité. Cela entraînera une nouvelle fuite en avant dans les déficits, et, aux sacrifices d’aujourd’hui, il faudra demain en ajouter de nouveaux.
Exiger d’assainir en trois ans, sur le dos des seuls salariés et retraités, une dégradation économique et financière qui est le résultat de vingt-cinq ans de gâchis financiers du capital est une aberration sociale et politique.
L’assainissement des finances publiques ne peut se conduire que dans la durée, par un développement pérenne de l’activité productive nationale, une autre utilisation des richesses, une collecte juste des ressources publiques grâce à une grande réforme fiscale. Il est urgent de mobiliser les immenses richesses disponibles dans les banques, l’épargne, les grandes entreprises, pour financer la relance d’activités utiles au pays sous forme d’équipements et de services publics, de formations, d’investissements industriels, pour engager la transition sociale et écologique de notre système productif.
Pierre Laurent Ces affaires à répétition sont pitoyables. La dérive d’Aquilino Morelle illustre des pratiques qui doivent disparaître de la vie politique. Mais, en l’occurrence, plus que le monde politique en général, c’est l’hyperpuissance de la présidence de la République avec son armée de conseillers qui est en cause. L’affaire Morelle et celle de Patrick Buisson en sont les symptômes. Comment se fait-il que des hommes qui ne sont que des conseillers du président de la République, c’est-à-dire des assistants techniques, jamais élus par personne, occupent une telle place au cœur de l’État ?
Il est temps de remettre la République à l’endroit en rendant le pouvoir aux assemblées élues et aux citoyens qui les mandatent. Vivement une VIe République ! La démocratie a besoin d’oxygène.
Pierre Laurent J’ai toujours dit que, dans les élections municipales, le débat n’était pas entre deux types de configuration de listes au premier tour. Notre seule boussole était le chemin le plus efficace pour construire un rassemblement qui remplisse trois objectifs : battre la droite et l’extrême droite, faire progresser les positions de contestation de l’austérité à gauche, élire des majorités pour mener des politiques de progrès social. Les résultats des municipales doivent être jugés ville par ville à l’aune de ces objectifs, et il ne suffit pas de regarder la stratégie d’alliance choisie pour y répondre. Le trait marquant du scrutin est la démobilisation de l’électorat populaire à gauche, et il ne nous a pas épargnés.
Il traduit le désaveu de la politique gouvernementale mais il renvoie à une défiance plus profonde à l’égard des politiques après des décennies d’échec de l’alternance. Notre ancrage territorial résiste, notre travail de rassemblement est réel, il laisse entrevoir de nouvelles possibilités, mais dans la situation que nous connaissons, ça ne suffit pas à contrebalancer le désespoir politique. Nous ne parvenons pas encore à trouver les chemins d’une crédibilité politique majoritaire.
J’en tire une conclusion : nous devons entrer dans une phase nouvelle du déploiement de notre stratégie politique avec le Front de gauche. On ne peut plus s’en tenir aux résultats obtenus durant les premières années du travail du Front de gauche. Nous sommes dans une course de vitesse où il faut reconstruire plus vite que ce que la crise politique détruit.
Pierre Laurent Il n’y a aucune raison, dans la situation actuelle, de tracer a priori des limites au rassemblement que nous visons. Nous devons travailler avec des forces venues de toutes les familles de la gauche : écologistes, socialistes, forces sociales, syndicales, associatives. Évidemment, le dialogue avec EELV doit s’intensifier après sa sortie du gouvernement, mais ce qui est possible avec EELV l’est aussi avec d’autres forces à gauche, y compris socialistes. Ce travail doit se mener dans les luttes mais aussi dans un débat de projet sur les propositions alternatives. Nous devons mener d’un même mouvement le chantier de reconstruction d’un projet pour la France, pour la République, pour la gauche, et c’est dans ce travail de projet que nous créerons les conditions d’alliances profitables, et non à partir de présupposés sur tel ou tel partenaire potentiel.
Pierre Laurent Je veux dire d’abord qu’au point où nous en étions, l’essentiel était d’entrer en campagne, de façon plus urgente encore après les décisions de François Hollande et Manuel Valls qui ont suivi les municipales. J’alertais depuis des mois sur la nécessité d’une constitution rapide de ces listes, tandis que des partenaires du Front de gauche ne cessaient d’aligner des conditions inacceptables comme, par exemple, celle d’écarter des députés sortants de leurs circonscriptions. Aujourd’hui, heureusement, nous bouclons les listes du Front de gauche. Cela dit, effectivement, cet accord révèle des insuffisances dont il faudra tirer les leçons après les élections européennes.
Parmi les atouts du Front de gauche, il y a l’engagement des forces du PCF, le caractère unitaire du Front qui a su respecter à chaque étape la diversité de ses composantes, et l’affirmation d’une dimension citoyenne indispensable à son déploiement. Voilà trois facteurs qui sont insuffisamment pris en compte dans l’accord, nous aurions pu et dû parvenir à un accord plus dynamique et conquérant. Mais je le répète : la priorité est aujourd’hui de faire réussir ces listes parce que le résultat du Front de gauche va compter dans les batailles qui viennent. Nous avons besoin de la présence de nombreux députés Front de gauche au Parlement européen. Le débat, nous l’aurons après ces élections.
Vous avez réussi une importante manifestation, le 12 avril, avec la présence inédite de nombreux syndicalistes, comment poursuivre
Pierre Laurent C’est vrai que le 12 avril est une démarche originale qui a demandé du temps pour la construire avec des forces politiques et des personnalités venues du monde syndical et du mouvement social. Nous avions vu juste, puisque le succès de cette marche est allé au-delà de ce que beaucoup attendaient. Le défi est maintenant de s’appuyer sur cet acquis pour construire un mouvement dans la durée. C’est le souhait de tous ceux qui ont signé l’appel à marcher le 12 avril. Les prochaines initiatives sont en discussion. Elles devront respecter le calendrier des mobilisations syndicales qui s’annoncent, le 1er Mai, le 15 mai avec la fonction publique, le 22 mai avec les cheminots.
Les européennes s’annoncent comme une élection qui va battre à nouveau tous les records d’abstention. Est-ce inéluctable ?
Pierre Laurent Le risque est évident. Et les conditions d’une campagne éclair sont créées pour éviter le débat politique nécessaire. Pourtant, le verrou des politiques actuelles de l’Union européenne doit sauter pour que puissent être mises en œuvre des politiques de sortie de crise. La France a besoin que les forces populaires qui ne veulent plus de la politique d’austérité le disent avec d’autant plus de force, le 25 mai, en votant Front de gauche.
Quels seront les axes de campagne du Front de gauche dans ces élections ?
Pierre Laurent Le premier est l’abandon immédiat des politiques d’austérité menées en France et en Europe. Le deuxième est la nécessité de mobiliser les immenses ressources disponibles dans les banques et les grandes entreprises européennes pour financer la relance sociale et écologique de l’activité. La Confédération européenne des syndicats demande la mise en place de programmes d’investissement équivalents à 2 % du PIB européen. Les ressources existent dans une zone qui a su mobiliser mille milliards d’euros pour renflouer les banques.
Le FN va faire une campagne particulièrement conquérante sur le rejet de l’Europe et le repli national. Comment l’empêcher de capter
Pierre Laurent En dénonçant les faux-semblants de sa politique, car le discours antieuropéen tenu par Marine Le Pen cache sa volonté de ne jamais mettre en cause la responsabilité des pouvoirs financiers dans la crise actuelle. Celle-ci frappe tous les travailleurs, quelle que soit leur nationalité, parce que le capital impose partout la même mise en concurrence contre les salaires. Nous ferons reculer ce talon de fer de la finance en unissant les peuples européens, et non en les divisant et en les opposant entre eux.
Entretien réalisé par Sébastien Crépel, pour l'Humanité
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