Jeudi noir sur la planète financière
19/08/2007
Il régnait hier un sérieux parfum de krach boursier d’un bout à l’autre de la planète. Les mouvements de baisse constatés ces derniers jours se sont encore amplifiés. Dans la foulée de Wall Street, qui a rechuté lourdement (plus de 1,5 %) mercredi à la suite des rumeurs de faillite du numéro un états-unien de l’immobilier, CountryWide Financial, toutes les places financières asiatiques ont affiché des décrochages spectaculaires :
- 2 % à Tokyo, qui a atteint son plus bas niveau depuis novembre 2006, - 2,14 % à Shanghai, - 3,3 % à Hong Kong et jusqu’à - 6,94 % à Séoul. À Manille, où l’indice local s’est écroulé de 6,01 %, les observateurs font carrément état de scènes de panique. La tempête s’est poursuivie ensuite sur les places européennes quelques heures plus tard. Paris a ainsi chuté de 3,26 %, revenant à son niveau du 1er janvier dernier. Et Wall Street ouvrait à son tour en forte baisse hier après-midi…
la crainte d’une contraction du crédit
Plusieurs explications immédiates aux raisons de ce nouvel et brutal accès de fièvre : les gros investisseurs, banques, hedge fund (grands fonds spéculatifs) touchés par la crise des subprimes, prêts hypothécaires à risques aux États-Unis (voir ci-
dessous) se sont mis à vendre massivement leurs autres titres pour se renflouer. De plus, la montée en flèche de créances douteuses détenues par l’ensemble des acteurs, y compris les plus « respectables » des établissements bancaires, fait craindre aux opérateurs une inéluctable contraction du crédit. Les banques refusant dans un climat de suspicion généralisé sur la qualité des avoirs des uns et des autres de se risquer à prêter de l’argent pour financer le moindre investissement nouveau. Le groupe de prêts immobiliers australien RAMS a ainsi contribué à alimenter un brusque effondrement de la Bourse de Sydney en étant contraint de reconnaître qu’il était incapable de se refinancer la bagatelle de 5 milliards de dollars de dettes à la suite du resserrement du crédit aux États-Unis.
350 milliards d’euros injectés sur les places boursières
Jusqu’où ira l’écroulement du château de cartes financier sur des marchés de plus en plus imbriqués ? L’ampleur du phénomène et l’incapacité des grands argentiers à le contenir en dépit des sommes astronomiques - plus de 350 milliards d’euros ont été injectés, au total, en quatre jours sur les places boursières - alimente de plus en plus de fébrilité dans le monde politique. Christine Lagarde, la ministre française de l’économie, a ainsi décidé hier d’interrompre précipitamment ses vacances. Nicolas Sarkozy est lui aussi monté au créneau, en reprenant à son compte l’antienne de la « bonne santé des fondamentaux de l’économie ». Il s’est dit ainsi convaincu que « ces mouvements de marché ne sauraient affecter durablement la croissance de nos économies, qui est robuste ».
Le chef de l’État s’est adressé également à Angela Merkel, afin que la France et l’Allemagne demandent ensemble une réunion en octobre du G7 (les sept pays les plus riches de la planète) en vue d’instaurer des « mécanismes de transparence sur les marchés ». On relèvera que la proposition déjà avancée par la chancelière lors du sommet d’Heiligendamm en juin avait été alors rapidement enterrée face à l’obstruction de George W. Bush et de Tony Blair. Le bouillant président français ne voulant sans doute pas gâcher ses retrouvailles avec ses amis américain et britannique, s’était alors fait d’une discrétion totale sur le sujet.
Quoi qu’il en soit, ces gestes divers cachent mal la responsabilité de dirigeants qui ont, tous, encouragé dans la dernière période, au nom de la réforme ou de la « modernisation de l’économie », la financiarisation qui débouche sur la crise d’aujourd’hui. L’autorisation d’utiliser des produits financiers toujours plus sophistiqués dans l’espoir de satisfaire les appétits décuplés des détenteurs de titres est à l’origine de la contamination qui, tel un cancer généralisé, touche toute la sphère financière sans qu’on puisse isoler in fine les cellules malignes qui minent tout l’organisme.
l’éclatement de la bulle immobilière
Les CDO (collateralised debt obligations, obligations sur dette collatéralisées) font partie de ces nouveaux OVNI qu’ont introduits les logisticiens du marché pour satisfaire les appétits des gros opérateurs. Ce sont eux qui, en bonne partie, ont permis la transformation des créances initialement fort juteuses des sociétés octroyant des crédits immobiliers à risque en titres financiers au rendement mirobolant (12 %, 15 %, voire 20 % et plus). Des banques, des grandes sociétés ont acquis, de cette manière, des morceaux considérables de la dette des familles modestes états-uniennes cherchant à accéder à la propriété. De la même façon, elles ont pillé d’autres acteurs économiques, tributaires, eux, selon des logiques spéculatives analogues, des fameux LBO (leverage buy out ou acquisitions par emprunts).
Jusqu’à l’éclatement des enflures spéculatives et en particulier de la bulle immobilière qui rend aujourd’hui des millions d’ex-accédants à la propriété états-uniens insolvables et avec les répercussions maintenant prévisibles sur la croissance et l’économie réelle…
Bruno Odent, l'Humanité
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