Les Flots bleus
07/08/2007
Editorial par Maurice Ulrich (l'Humanité)
On peut concevoir, sans trop d’imagination, que le président de la République française ne soit pas amené à passer ses vacances avec Franck Dubosq en string au camping des Flots bleus. « Cécilia c’est moi, j’arrive avec les amis, fais péter le pastaga. » Quoique… Ça aurait sans doute du panache. La fonction n’implique pas non plus de les passer exclusivement en compagnie de philosophes (des vrais), ou de moines bénédictins.
Nicolas Sarkozy a donc choisi de les passer aux États-Unis dans la station ultrachic, dit-on, de Wolfeboro, au bord du lac de Winnipesaukee. Selon certaines photos il y ferait, par exemple, du jet-ski. La villa, très luxueuse dit-on, huit chambres et douze salles de bains - pourquoi douze, allez savoir ? -, lui aurait été prêtée par un ami, Mike Appe, un ancien dirigeant de haut vol de la firme de Bill Gates, Microsoft. Louée, ce serait environ 30 000 dollars la semaine. Pas vraiment le genre gîte rural. Le président a la chance d’avoir de sacrés amis.
Un coup, on lui prête un yacht de quelques dizaines de mètres, maintenant une villa. C’est étonnant des prêts comme ça, de la part de milliardaires. Cette familiarité au fond. C’est singulier pour un président de la République d’accepter de tels prêts, de plusieurs milliers de dollars. On espère que le président ne se sent en rien tenu, voire redevable.
Cela ferait problème tout de même si l’on considérait que de tels prêts ne sont pas loin des cadeaux. Mais d’abord, la question, ce serait plutôt : pourquoi ? Pourquoi le président de la République française affiche-t-il avec autant d’ostentation son goût d’un luxe tapageur, en nouveau riche ou en gagnant de la Star Ac qui s’achète une Ferrari rouge ?
On sent, à n’en pas douter, qu’il en avait envie mais Nicolas Sarkozy est un homme trop habile pour qu’il n’en mesure pas les effets.
À peine élu, en se rendant au Fouquet’s, il donnait le « la ». Il ne s’agit pas de vacances, si ce n’est pour ses enfants, mais d’idéologie. Le président veut en finir - c’est cela aussi la rupture - avec une certaine pensée française tendant à l’égalité, ou du moins à réduire les inégalités, il veut que l’on cesse, comme l’a dit Christine Lagarde, la ministre de l’Économie devant l’Assemblée, « d’opposer les riches et les pauvres ». Ce que disent en toute clarté le Fouquet’s, le Paloma et Wolfeboro, comme aussi le choix des États-Unis, c’est ceci : il est juste et bien que les riches soient riches. Le monde est inégalitaire mais c’est l’ordre des choses. On peut s’indigner, on peut mettre en rapport cette ostentation comme le coût de cette villa avec celui des vacances de millions de salariés, mais il reste à comprendre comment un tel message, aussi gros qu’un gros nez au milieu de la figure, peut être délivré sans vergogne et avec un succès certain au regard des sondages.
Pour combien de temps ? La confrontation des Français avec le réel, en termes de pouvoir d’achat et de salaires, de précarité est une chose. Mais la gauche, toute la gauche, est confrontée aujourd’hui à l’impérieuse nécessité de reconstruire une vraie pensée politique qui ne se contente pas de brandir des fétiches ou de dériver vers les mêmes terrains qui furent choisis par le candidat, aujourd’hui par le président. Il faut redire qu’un pays, avant de choyer ses riches, a besoin de services publics,
de routes, de ponts qui ne s’écroulent pas, d’hôpitaux, de fonction publique, de trains, d’une éducation nationale revalorisée, que tout cela n’est pas un coût mais la richesse de tous et des socles pour la croissance.
Qui veut opposer les pauvres aux riches si ce n’est ceux qui pensent qu’il n’y a aucun lien entre la pauvreté des uns et la richesse des autres et qu’il y aura donc toujours des pauvres, et eux, les riches ?
Par Maurice Ulrich
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