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22/07/2013

Louis aragon Des articles majeurs 
à (re)découvrir

les lettres françaises,littérature,louis aragon,série des journalistes et des combatsPoète, romancier, résistant, communiste… Aragon était aussi un grand journaliste qui combattit avec panache Pétain et l’occupant nazi. De Ce soir aux Lettres françaises, 
il est l’auteur de centaines d’articles importants.

Quand on parle d’Aragon, on évoque le poète, le résistant, le communiste, le romancier, le surréaliste, l’amoureux d’Elsa, mais presque jamais le journaliste. Or, Aragon a aussi été un grand journaliste. Ses écrits journalistiques, qui comptent des centaines de pages, constituent une sorte de contrepoint à son œuvre.

Des années 1920 à sa mort en 1982, Aragon collabore à Paris journal, Littérature, la Révolution surréaliste, Clarté, Commune, Europe, l’Humanité, Ce soir, les Étoiles, les Lettres françaises. Dans cette liste, Ce soir et les Lettres françaises ont un statut particulier puisqu’il les a longtemps dirigés.

Si on met de côté les quelques semaines passées à la tête de Paris journal, que lui confie Jacques Hébertot en 1923, ses véritables débuts de journaliste ont lieu quand il entre à l’Humanité, en 1933, sur proposition de Vaillant-Couturier. D’abord, confiné aux rubriques sur les chiens écrasés (histoire de l’éprouver), il accède vite à des sujets de plus grande ampleur, notamment pendant les événements de février 1934.

En 1936, Maurice Thorez décide de lui confier la direction d’un nouveau quotidien qui soutiendra le Front populaire : Ce soir.

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 Aragon accepte à la condition d’y associer Jean-Richard Bloch, dont il connaît la rectitude intellectuelle et les qualités littéraires. Bloch, qui ne faisait jamais les choses à moitié, redoutait d’y compromettre son activité d’écrivain. Au terme d’une nuit de discussion, Aragon arrache son accord. L’un comme l’autre sont alors hantés par la montée du fascisme. Le premier numéro de Ce soir paraît en mars 1937, grâce au talent d’organisateur de Gaston Bensan. Les deux directeurs travaillent en parfaite intelligence et imposent d’emblée une ligne éditoriale. Ils font appel à des collaborateurs très variés. On y trouve des photographes comme Cartier-Bresson, Capa, Gerda Taro, les signatures de Robert Desnos, Jean Cocteau, du futur acteur Alain Cuny, de Fernand Léger, de Boris Taslitzky, de la journaliste Andrée Viollis, des écrivains Louis Parrot, Édith Thomas, Pascal Pia, Elsa Triolet, etc. Paul Nizan y couvre la politique étrangère.

Ce soir est ouvert aux menus événements de la vie quotidienne, tout en sachant les relier aux problèmes majeurs de l’époque. Chaque fois que son orientation est trouvée dérangeante, Maurice Thorez apporte son soutien aux deux directeurs.

Le journal atteint rapidement des ventes de l’ordre de 250 000 exemplaires. Aragon contribue au rayonnement du journal par de nombreux articles, notamment ceux de la série Un jour du monde, qui commente brillamment l’actualité au jour le jour. Il poursuit à temps volé le roman les Voyageurs de l’impériale, qu’il a commencé en 1936. Ce soir combat avec panache pour la réussite du Front populaire, pour l’Espagne républicaine, contre Munich et la politique d’apaisement envers Hitler. Il sera brutalement interdit, comme toute la presse communiste, en août 1939, à la suite du pacte germano-soviétique.

Les Lettres françaises naissent en 1941, lors d’une discussion entre Aragon, Jacques Decour et Georges Politzer, qui menaient depuis 1940 le combat clandestin des communistes dans les milieux intellectuels. L’objectif est de parvenir à un large rassemblement des intellectuels, dans le cadre du Front national contre Pétain et l’occupant nazi. C’est pourquoi Aragon veut que Jean Paulhan fasse partie de l’équipe des Lettres. Decour ne verra pas le premier numéro, il sera pris et fusillé, comme Politzer. Claude Morgan est alors chargé de reprendre le projet. Pendant ce temps, Aragon fonde, en zone sud, un journal similaire, les Étoiles. Le premier numéro des Lettres sort en septembre 1942, celui des Étoiles en février 1943. Ces petites feuilles mal imprimées, distribuées au péril de la vie des militants, portent très haut la parole de la France et sont l’expression de l’intelligence en guerre contre la barbarie (1).

À la Libération, fatigué et surchargé de travail, Aragon revient brièvement à la direction de Ce soir, avant qu’elle soit confiée à Jean-Richard Bloch, à sa satisfaction. Au décès de celui-ci, en 1947, il reprend ses fonctions jusqu’à la fin du journal, en 1953. Il succède alors à Morgan à la direction des Lettres françaises.

 Trois semaines plus tard, Staline meurt. Lecœur, qui dirige le PCF en l’absence de Thorez, mène une politique de caporalisation des intellectuels. Il reproche à Aragon d’avoir piétiné la douleur des communistes en publiant un portrait iconoclaste de Staline, signé de Picasso, et déclenche une violente campagne contre lui. Quelque temps auparavant, il s’en était pris à Moussinac. À partir de cette expérience, avec l’appui de Thorez, Aragon tisse les fils qui lui permettront de faire des Lettres françaises le meilleur hebdomadaire culturel français. André Wurmser, George Besson, Georges Sadoul, Elsa Triolet font régulièrement des chroniques. Accordant un intérêt toujours renouvelé aux jeunes talents, Aragon les présente généreusement. Parmi eux : Philippe Sollers, Lionel Ray, Bernard Vargaftig, Jacques Roubaud, Maurice Regnaut, Pierre Lartigue, Jean Ristat…

 Il s’élève de plus en plus fortement contre les mesures qui briment la liberté de création en URSS et dans les autres pays socialistes. Il le fait au nom du communisme, dont il ne cesse de se réclamer. Les polémiques qu’il mène sont retentissantes, dépassant parfois les capacités de gestion de la direction du PCF.

Ces mêmes années sont celles qui voient mourir ses amis : Éluard, Tzara, Breton, Courtade, Moussinac… Il leur consacre des textes qui resteront parmi les plus beaux. L’automne de sa vie a, pour ses lecteurs, le goût d’un merveilleux printemps.

Lorsque la fin des Lettres françaises est programmée, en 1972, il publie la Valse des adieux, dans laquelle se trouvent ces mots : « J’ai gâché ma vie. » Certains ont voulu y lire l’aveu enfin exprimé de l’échec de son engagement communiste, voulant à toute force qu’Aragon n’ait fait que porter un masque. Si elle exprime l’usure des espérances, la douleur des coups reçus des siens, l’inquiétude sur l’avenir, cette Valse ne traduit aucunement le désaveu du chemin qu’il avait pris jadis et qu’il a suivi jusqu’au bout. Lui qui disait : « Nous sommes les gens de la nuit qui portons le soleil en nous », n’a cessé d’intervenir sur l’histoire des hommes pour que le peuple cesse d’être l’ennemi de lui-même et que vienne le temps du chant pour tous.

(1) Les Lettres françaises et les Étoiles dans la clandestinité ont été rééditées aux éditions 
Le Cherche-Midi.

François Eychart pour l'Humanité

31/08/2012

Madeleine Riffaud : des toits de Paris 
aux rizières du Vietnam

série des journalistes et des combats, madeleine riffaudRésistante, 
devenue journaliste, la grand reporter de l’Humanité a couvert les guerres coloniales. Poète, écrivain, 
elle a été la première femme à repousser aussi loin les limites 
de l’investigation.

Lorsque Madeleine Riffaud devient journaliste, Elsa Triolet lui donne ce conseil : « Pour ce métier, pas besoin d’aller à l’école, mais il faut lire deux textes, Choses vues, de Victor Hugo, et le Nouveau Testament. » C’est la Libération. La fin de la clandestinité est douloureuse pour celle qui se faisait appeler Rainer au sein de la Résistance.

En 1940, l’adolescente, fille unique d’un instituteur revenu amputé de la boucherie de 1914-18, se fait agresser par des soldats allemands. Un soudard aux gestes déplacés l’humilie en public. « C’était la première fois qu’un acte violent était commis sur moi par un soldat ennemi. Je ne l’ai pas admis. » Elle rejoint les FTP et écrit ses premiers poèmes. « En parachutage, on recevait des armes et, sur papier bible, des poèmes d’Éluard. La poésie de cette époque a su se rendre tellement persuasive qu’elle nous poussait en avant. »

Début 1944, elle entre en même temps au Parti communiste et dans la lutte armée. Elle apprend le massacre d’Oradour-sur-Glane, village de sa jeunesse. « Je pensais à cela quand je pédalais dans Paris, aux brûlés vifs que je connaissais. Éluard parlait des “armes de la douleur”. C’était exactement cela. J’ai roulé jusqu’à ce soldat allemand sur le pont de Solferino. J’ai voulu qu’il me regarde. Il a tourné son visage vers moi. À ce moment-là, je lui ai tiré deux balles dans la tempe gauche. » Le 23 juillet, ce visage d’ange qui n’a pas encore vingt ans exécute un officier SS en plein Paris.

Un milicien la rattrape et la livre inconsciente à la Gestapo. Elle se réveille rue des Saussaies. « Un endroit dont on ne peut pas parler tranquillement », confie-t-elle encore aujourd’hui, et qui décidera du reste de son existence. Privée de sommeil, soumise à des décharges électriques, elle assiste aux tortures de ses camarades. Elle est promise au poteau, puis à la déportation, avant d’être libérée in extremis grâce à un échange d’otages. Sitôt libérée, elle participe à la libération de Paris.

Loin des clichés sur l’euphorie de la liberté retrouvée, la sortie de la clandestinité s’avère douloureuse pour Madeleine Riffaud. Les souvenirs des geôles nazies la hantent. « Après ça, j’ai essayé de vivre comme tout le monde mais je n’ai pas pu », confie-t-elle au réalisateur Philippe Rostan, dans le documentaire qu’il lui a consacré en 2010. Durant ces mois difficiles, elle comprend que seules l’intéressent désormais « les situations limites et l’extrême danger ». Jusqu’à ce jour où on la présente à un certain Paul Éluard. « Il m’a soulevé le menton et m’a dit : “Tu veux bien me regarder ?” Ce qu’il a vu dans mes yeux, c’était une détresse sans borne. Il m’a tendu une carte de visite.

Ma vie en a été changée. » Pour son premier recueil de poèmes, le Poing fermé, Picasso lui tire le portrait pour la couverture du livre. On lui suggère le journalisme, elle y voit l’occasion de partir au bout du monde. C’est lui qui vient à elle pour la conférence de Fontainebleau, en 1946. On la présente à Hô Chi Minh.

série des journalistes et des combats, madeleine riffaudC’est le début d’une longue histoire avec le Vietnam. Et l’Oncle Hô de lui dire : « Si tu viens dans mon pays, je te recevrai comme ma fille. » Ce qu’il fera. Devenue grand reporter pour l’Humanité, après avoir travaillé à la Vie ouvrière et Ce soir, elle couvre la fin de la guerre d’Indochine, puis du Vietnam. Elle est la première à dénoncer, dès 1955, un an après leur signature, la violation des accords de Genève par les États-Unis.

Car, à partir de 1964, Madeleine Riffaud devient Chi Tam, la 8e sœur. Elle est l’une des rares occidentales à être acceptée dans les maquis viêt-cong, et devient une combattante à part entière de la résistance vietnamienne. « Ce que j’ai vu au Sud-Vietnam » affiche la une de l’Humanité en novembre 1970, dont le reportage révèle au monde l’horreur de la répression. « Con Son, Tan Hiep, Thu Duc, Chi Hoa… Il nous faut retenir ces noms car, jadis, pour les résistants victimes des nazis, l’enfer a duré cinq ans. Or au Sud-Vietnam, le même enfer dure depuis quinze ans », écrit-elle en 1972, au cœur d’un papier qui dénonce les atrocités commises par l’administration américaine. « Voilà la démocratie de Nixon, conclut-elle. Voilà la paix que les vaincus, en s’en allant, voudraient accorder à des hommes, des femmes estropiés à vie par les tortures sans fin… » Et elle sait de quoi elle parle : « Le drame est d’être passée de la Résistance aux guerres coloniales.

J’ai été correspondante de guerre pour dire mon horreur des conflits. » « On disait des Viêt-cong : ce sont des hommes sans visage. » Ces combattants de l’ombre retrouvent le sourire devant l’objectif de Madeleine Riffaud, qui s’attache à leur redonner une identité. Dans ces déluges de violences qu’elle décrit, la poésie n’est jamais loin, derrière une description des rizières vietnamiennes ou des images de typhons, autant de métaphores de la mort, omniprésente. La couverture de la guerre d’Algérie la ramène rue des Saussaies, où la police française torture les militants du FLN, là même où elle a connu l’enfer.

série des journalistes et des combats, madeleine riffaudLe 7 mars 1961, l’Humanité sort avec une page blanche, marquée en son centre de ce seul mot : « Censuré ». À l’origine de la saisie, un article de Madeleine Riffaud sur les tortures pratiquées à Paris, qui déclenche la fureur du préfet de police, Maurice Papon, qui porte plainte en diffamation et demande des dommages et intérêts. Elle réchappe de peu à un attentat de l’OAS et passe plusieurs mois à l’hôpital.

En 1973, Madeleine Riffaud emprunte une nouvelle identité et repousse toujours plus loin les limites de l’investigation. Elle devient Marthe, se fait embaucher dans un hôpital parisien comme aide-soignante. Elle récure les sols, prodigue les soins aux patients, veille la nuit des mourants anonymes.

De cette expérience, elle en tire un récit lucide et tendre sur l’univers hospitalier, les Linges de la nuit, sur ce qui se joue sous les draps blancs, quand l’imminence de la mort rebat les cartes des rapports humains. Car comme le disait d’elle Jean Marcenac, « Madeleine Riffaud est un poète qui a pris résolument le parti de s’exprimer par le journal… Elle a toute seule créé ce qu’il faut bien nommer un genre et, finalement, elle a parfaitement réussi ».

Article publié par l'Humanité dans la série : des journalistes et des combats