Grenelle contre les violences : « Opération d’enfumage »
25/11/2019
Le premier ministre estime qu’il « ne manque pas d’argent » en évoquant le milliard dédié à l’égalité femme-homme et les 360 millions pour la lutte contre les violences. Comment réagissez-vous ?
Laurence Cohen : La manifestation de samedi a été grandiose, et nous attendions un budget conséquent. Or ce qu’avance Édouard Philippe est complètement faux. Le montant nécessaire à la lutte contre les violences faites aux femmes a été évalué à un milliard d’euros.
C’est bien loin du budget de 360 millions qui y est consacré jusqu’à présent par l’État. Et pourtant, le montant annoncé ce lundi est exactement le même. C’est vraiment une opération d’enfumage et de pure communication. On sait très bien que ce budget est insuffisant pour que soient mises en place de réelles politiques de prévention, de formation des personnels de police et de justice… Tout cela nécessite des moyens qui ne sont pas au rendez-vous. Même les mesures qui vont dans le bon sens vont en pâtir.
Quand le premier ministre dit que le 3919 sera ouvert 24h/24 et 7jours/7, c’est très bien mais avec quels moyens ?
Comment peut-on y apporter du crédit quand le budget ne suit pas ? Au Sénat, nous étudions en ce moment le budget 2020 : il a fallu, par exemple, un amendement du rapporteur pour que des moyens soient alloués à l’application de la loi sur la prostitution, parce que ce n’était pas prévu. Nous en sommes là.
Au-delà de la question budgétaire, les annonces sont-elles à la hauteur ?
Laurence Cohen : Le mouvement porté par les associations féministes avec cette formidable mobilisation à Paris et dans toute la France a fait bouger des choses : le gouvernement a été contraint de se pencher sérieusement sur la question et de donner suite. Certaines mesures sont issues de revendications défendues de longue date et des groupes de travail du Grenelle. Elles vont dans le bon sens comme la circonstance aggravante par rapport au suicide forcé. Sauf qu’il y a, ici aussi, un décalage entre ces annonces et le budget alloué, notoirement insuffisant et pourtant reconduit à l’identique. Même sur les mesures qui ne nécessitent pas d’investissements supplémentaires, je reste dubitative. Lors de l’examen au Sénat de la loi Pradié (qui introduit notamment le bracelet anti-rapprochement, N.D.L.R.), nous avons demandé la suppression de l’autorité parentale quand les violences sont reconnues. La garde des Sceaux a refusé nos amendements. Pourtant, on retrouve cette proposition parmi les annonces gouvernementales…
Force est de constater là une duplicité. De surcroît, rien n’est prévu pour la prise en charge des enfants victimes de violences qui, même s’ils ont assisté au meurtre de leur mère, ne bénéficient d’aucun soutien psychologique. Seul un dispositif a été mis en place par le département de la Seine-Saint-Denis, mais rien n’est prévu pour généraliser cette expérience. Cela nécessiterait de débloquer des moyens, ce que visiblement le gouvernement se refuse à faire.
Quelles mesures urgentes font défaut ?
Laurence Cohen : Il y en a beaucoup. Sur l’hébergement d’urgence, sur la création de centres de prise en charge des femmes et des enfants victimes de violences, sur tout ce qui relève de la prévention… les mesures font largement défaut. Par exemple, l’obligation de formation des enseignants en matière d’égalité fille-garçon est positive, et résulte du travail et de la mobilisation des associations. Mais quels moyens auront-ils pour développer cette sensibilisation ? Depuis l’abandon des ABCD de l’égalité rien n’est prévu dans les programmes. Compte-tenu du nombre de féminicides – 137 ! – il aurait fallu un dispositif beaucoup plus important. Un Grenelle a été mis en place, on pouvait s’attendre à ce que des moyens à la hauteur des ambitions soient au rendez-vous.
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